Chronique

Nortonk

Thomas Killacey (tp), Gideon Forbes (as), Stephen Pale (b), Steven Crammer (dm)

Label / Distribution : Biophilia Records

Tiens, un groupe sans instrument harmonique. Enfin, tout dépend de ce que l’on met sous le vocable « harmonie » car, question quête de vibrations communes et appétentes, ce quartet se pose là. Ce que n’ont pas manqué de relever certains médias pop outre-Atlantique. Et pourtant, on est loin d’un univers musical qui ferait se pâmer de désir le.la jouvenceau.elle.

Quatre camarades de fac, qui tirent leur nom de groupe de leur mentor, un batteur compositeur répondant au patronyme de Norton (un cas, apparemment). Une découverte de l’un des boss de Biophilia (ce label harlémite aux prétentions écologiques), par ailleurs pianiste pour le batteur starifié Mark Guiliana, qui fut sidéré par le naturel de leur son alors qu’ils faisaient la première partie de ce dernier.

Revendiquant sans fard le patrimoine du légendaire quartette de Gerry Mulligan et Chet Baker, sans ignorer les expérimentations harmolodiques d’un Ornette Coleman et d’un Don Cherry, Nortonk avance ses pions avec force mélodies serpentines et rythmes interactifs. Un soupçon de blues archaïque émerge de-ci de-là, manière de conférer des contours de rituels aux compositions, qui oscillent entre calme méditatif et éruptions angulaires. Vouées à faire ressortir les qualités viscérales des membres, elles sont principalement signées de la paire de soufflants. Le saxophoniste, notamment, possède bien une spiritualité coltranienne et un lyrisme « konitzien » mais c’est dans le jeu soulful d’un Chris Cheek (l’un des nouveaux maîtres de l’instrument, à écouter « à ses risques et périls », dixit Carla Bley) qu’il se reconnaît, ou dans les leçons de jeu avec le temps de son mentor Jeremy Udden (lui, il navigue parfois dans les eaux troubles du punk ou des musiques éthiopiennes). On retrouve de cette énergie moite et brute et de ces mélopées exotiques dans les compositions du quartet.
Ce sont certainement ces déviances hors du saint des saints du « pur jazz » qui font que l’on pourrait apparenter Nortonk aux Britanniques Sons Of Kemet : une capacité à proposer des hymnes qui n’en sont pas vraiment, avec un sens de la danse joyeusement foutraque et décomplexé.
Les autres musiciens sont à l’avenant, conjuguant leur maestria dans un univers déjanté et cohérent. Le son d’ensemble est d’un naturel rare. Puisse-t-il trouver confirmation sur scène.