Chronique

Camilla George

Ibio-Ibio

Camilla George (as), Daniel Casimir (b), Sarah Tandy (p), Renato Paris (p, elp, voc), Shirley Tetteh (g), Winston Clifford (dm)

Label / Distribution : Ever Records/ !K7 Music

Dans la famille du London Jazz actuel, on demande… la cousine Ibibio. La saxophoniste londonienne Camilla George revendique en effet haut et fort l’héritage culturel du peuple nigérian dont est originaire sa famille, marqué par un fort sens communautaire et une franche tendance au matriarcat. Pour ce troisième album en leadeuse, cette jeune sax alto a dédié ses compositions à divers récits et figures de la mythologie de ce peuple ouest-africain. Elle n’en est pas moins une jeune femme qui a grandi dans l’ouest de la capitale britannique, où les pulsations métisses renversent depuis plus d’une génération les stéréotypes issus de la colonisation. Elle a un temps frayé avec l’ensemble Jazz Jamaica, qui diffuse des vibrations entre ska et bop sur toute la planète, après avoir bénéficié du mentorat de musiciens comme le contrebassiste Gary Crosby au sein du collectif Tomorrow Warriors, le creuset artistique dont sont issu.e.s nombre de musicien.n.e.s anglais.e.s actuel.l.e.s (Soweto Kinch, Zarah McFarlane, Nubya Garcia, Binker Golding, Shabaka Hutchings…).
On conçoit qu’elle esquisse cinquante nuances de groove au fil de ses compositions. Accents d’afrobeat, de high-life, de reggae, d’acid-jazz : le dance-floor n’a qu’à bien se tenir ! Avec les autres cuivres qu’elle a convié, elle propose des traits afro-futuristes ravageurs, qu’elle se permet de faire dialoguer avec une kora, déployant des titres aux airs d’hymnes. En authentique jazzwoman, elle ose une ballade renversante où son expressivité à l’alto se fait ravageuse. Sur son instrument, elle sait convoquer des sensations contrastées, entre mélancolie bluesy et joie funky (elle cite volontiers ses influences : Kenny Garrett, Jacky McLean, Sonny Stitt, Coltrane et Rollins - dont elle livre une paraphrase de « Pent Up House », comme son « collègue d’instrument » Miguel Zenón sur son dernier album).
Signalons dans son groupe la présence d’une pianiste redoutable et d’une guitariste exceptionnelle, d’un bassiste plus que solide, pilier de la « nouvelle scène » jazz londonienne, ainsi que les interventions d’une rappeuse de Birmingham et d’un batteur-percussionniste américain qui a frayé, entre autres, avec le rappeur Talib Kweli… Avec ce disque, Camilla George enfonce le clou d’un jazz joyeusement décolonial, libérateur des corps et des consciences.

par Laurent Dussutour // Publié le 15 janvier 2023
P.-S. :

Avec : Daru Jones (dm, perc), SANITY (voc), Kadialy Kouyate (kora), Sheila Maurice-Grey (tp), Rosie Turton (tb)