Chronique

Olivier Hutman Quartet

Suite Mangrove

Jacques Schwarz-Bart (ts, fl), Olivier Hutman (p), Salvatore La Rocca (b), Hans Van Oosterhout (dm)

Label / Distribution : Nocturne

Avant toute chose il convient de mettre en garde le lecteur aigri : il est difficile de vouloir ne pas aimer ce disque. Et pourtant, cet objet musical présente a priori toutes les caractéristiques du « projet » (terme devenu incontournable pour désigner la dernière œuvre en date de tel ou tel artiste) lambda, terne et uniquement destiné à promouvoir une tournée alimentaire au pays de la culture déclinante (et on n’accusera pas les musiciens, loin s’en faut). Pochette assez quelconque, pianiste leader un peu obscur…

Mais trêve de morosité, cette Suite groove et ne fait pas dans le jazz de marigot. Car si la mangrove peut évoquer quelque contrée humide et peuplée de sauriens monstrueux, elle présente aussi un enchevêtrement typique de vie végétale et animale, racines jazzy ou calypso par-ci, entrelacs des lignes chromatiques de Jacques Schwartz-Bart par-là. Surtout, donc, ce disque respire la vie - et une musique qui semble inondée de soleil tropical. Tu es encore aigri, cher lecteur, après le sautillant « Chain of Souls » ? As-tu résisté à la danse virevoltante de « The Path That Was Always », morceau rollinsien en diable ?

Oh certes, cette Suite Mangrove ne cultive pas non plus à l’excès une forme d’hédonisme béat qui en deviendrait sans doute agaçant. On apprécie en effet la diversité des formes rencontrées, avec par exemple le swing moins figuratif de « The Cliffs », mais aussi des ambiances moins « ensoleillées », élégiaques (« A Hole in the Earth ») voire franchement menaçantes. A vrai dires les roulements rythmiques de « Status Island » figureraient presque un cyclone qui s’avance, et les larges accords « mccoytyneriens » d’Olivier Hutman le vent qui courbe les arbres côtiers.

C’est enfin « July Tide », climax parfaitement dosé mais qui suggère aussi une autre orientation à la musique de ce quartet. Emmenés par une rythmique très coltranienne, les longs chorus modaux de Schwartz-Bart et Hutman propulsent l’auditeur dans une sorte d’abstraction que n’aurait pas reniée le chaman génial de « My Favorite Things ». Il convient aussi de signaler à quel point Salvatore La Rocca et Hans Van Oosterhout participent ici au caractère tourbillonnant et mouvant de la musique. Ce dernier, en particulier, se joue de la métrique impaire à travers des breaks totalement suspendus, héritiers des vagues d’Elvin Jones.

Malgré un certain classicisme, Suite Mangrove offre une démonstration musicale parfaite, tant au niveau des compositions limpides de Hutman que des performances des solistes et d’une section rythmique inspirée. L’omniprésence de Schwartz-Bart n’est jamais gênante et confère à ce disque une parenté certaine avec The Rise de Julien Lourau. Quelques aspects commerciaux en moins…