Chronique

Philip Arneill, James Catchpole

Tokyo Jazz Joints

Avec cet ouvrage, le photographe nord-irlandais Philip Arneill et son enquêteur-complice l’Américain James Catchpole donnent à découvrir le monde méconnu des bars à jazz du Japon – le titre référençant Tokyo a été conservé, mais en réalité les deux hommes ont exploré le pays du soleil levant jusqu’en ses contrées les plus reculées, toutes dotées de leur jazz kissa.

Ces lieux endormis et exigus, aux décors hors d’âge, chargés de vinyles, VHS et memorabilia du sol au plafond et dotés de matériel audio de pointe, sont immortalisés par des photographies en empathie avec le sujet. Il faut chercher les adresses, se rendre dans des zones périphériques dépourvues de tout attrait, descendre par des escaliers étroits pour atteindre des sous-sols aux murs défraîchis où l’on est accueilli par un personnel chaleureux et passionné.

On y boit un verre en savourant l’écoute d’un album d’un bout à l’autre, religieusement posé sur la platine, isolé du fracas urbain. Les images révèlent des surfaces surchargées aux tonalités ocres, des affichettes en voie de désagrégation, des zincs dépeuplés, certains parfaitement tenus, d’autres pétrifiés dans leur jus, captés selon des angles astucieux. On y écoute plus volontiers Miles Davis et John Coltrane que la production locale, le jazz des sixties plutôt que contemporain. Si ces lieux « secrets » semblaient en voie de disparition au moment de la confection du volume, voilà que ce dernier a involontairement inversé la tendance et incité un nombre croissant de visiteurs à se rendre à des adresses aux noms évocateurs : « Paper Moon », « Pithecanthropus Erectus », « Downbeat », « Bird », « Billie’s Bar », « Herbie », « Ragtime », « Octet », « Naima », « Nefertiti », « Smiles », « Milestone », etc.

Ainsi, ce qui s’annonçait comme un enterrement de première classe, un témoignage affectueux mais résigné, donne lieu à une résurrection, à la grande surprise et joie de l’auteur dont les photos avaient précédemment orné les pochettes d’une série de compilations consacrées au jazz japonais. La première édition de « Tokyo Jazz Joints » (paru en octobre 2023) est épuisée, et la deuxième semble en voie de l’être avec un nombre record de réservations en précommande. Un bouquin essentiel qui illustre la relation forte et quelque peu paradoxale entre le jazz et le Japon.

par David Cristol // Publié le 18 février 2024
P.-S. :

« Tokyo jazz joints » - Éditions Kehrer Verlag, 168 p, 45€