Portrait

Pierre-Antoine Savoyat, petit prince de Pépito

Portrait du trompettiste français expatrié à Bruxelles.


Le Monde Merveilleux de Pépito © Coralie Gaume

Lorsqu’on s’intéresse à la jeune scène bruxelloise, il n’est pas rare de tomber sur des Français, a fortiori lorsqu’ils sont trompettistes : c’est effectivement un musicien hexagonal qui agite les conversations depuis plusieurs mois maintenant. Membre d’un des avatars de l’orchestre de jeunes de l’ONJ sous la direction de Denis Badault auquel Savoyat avait rendu un vibrant hommage, on le repère désormais dans de nombreux orchestres. Alors qu’il sera partie prenante du prochain album du batteur d’Aka Moon Stéphane Galland et même d’Aka Moon lui-même, ce qui vaut tout les certificats de résidence belges, il publie Memories From a Winter Journey, qui démontre notamment ses brillantes qualités d’arrangeur.

Pierre-Antoine Savoyat © Michel Sadowski

On sait que le concept de Third Stream et le travail d’arrangement raffiné, largement influencé par la musique écrite occidentale, est une vieille antienne passée de mode, mais lorsqu’on écoute « L’Absente », un des morceaux de l’album que Pierre-Antoine Savoyat publie avec son quartet au nom inénarrable, le Monde Merveilleux de Pépito, on est en droit de s’y référer. Le bugle de Savoyat, très en avant, joue avec une simplicité lumineuse sur un tapis de cordes que déroule un quatuor très impliqué choisi parmi ses camarades bruxellois, où l’on remarque notamment la présence de la remarquable altiste Coline Meulemans, par ailleurs chanteuse [1].

Appuyé sur une base rythmique très solide, Pierre-Antoine Savoyat aime jouer avec les climats : c’est la même atmosphère que l’on retrouve avec un grand orchestre à la composition tournante, le Q-Some Big Band. Dans le dernier album de l’orchestre aux cuivres luxueux, il propose avec « For Klaus » une composition très riche en détail et en couleurs où les cordes ont, là aussi, une large place, fussent-elles électriques : dans l’atmosphère très traditionnelle du Q-Some, à l’image de son tromboniste et compositeur principal Manten van Gils, chaque initiative de Savoyat tend à tester toute la plasticité de l’orchestre, dont il conserve la grande maîtrise. Sur le premier album, Consoulin’, c’est lui qui ouvre le bal dans le très ellingtonien « This is Q-Some » où sa composition passe en revue l’orchestre sans négliger toutes les constructions contrapuntiques, offrant aux trombones de belles aventures (notamment la talentueuse Els Verbruggen au trombone basse). Plus loin avec « Lausanne », on peut encore mieux apprécier ses talents d’arrangeur et de compositeur, ainsi que sa patte : une tournerie construite sur un piano debussyen, et une grande finesse des lignes de soufflants, avec une approche très moderne dans la circulation de l’orchestre qui n’est pas sans rappeler un autre trompettiste chef d’orchestre, Kornél Fekete-Kovács et son Modern Art Ochestra, lui aussi très marqué par les compositeurs du XXe siècle.

Rien d’étonnant à voir Savoyat maîtriser si bien les codes de l’orchestre. D’abord à Bruxelles, il a eu comme professeur Jean-Paul Estièvenart, qu’on connaît pour son travail au sein de l’orchestre du Lion ou le Brussels Jazz Orchestra. Surtout, on a pu entendre l’une de ses compositions classiques jouée par le Brass-Band des Hauts de France à un concours international en Angleterre en 2022, ce qui souligne également son goût des nuances et de la couleur. Marqué par Ravel et globalement par la musique française dite impressionniste du début du XXe siècle, la « Sinfonietta °2, Quatre Impressions » est l’occasion de déceler le principe d’une vague très circulaire, montante et descendante en hauteur comme en intensité que l’on retrouve beaucoup dans son travail. Tout comme une théâtralité davantage empruntée à Bernstein qu’à Debussy…

Après des études de conservatoire entre Lyon et Châlon-sur-Saône, Pierre-Antoine Savoyat rejoint Bruxelles où il rencontre une communauté de musiciens cosmopolites et incroyablement soudés, qui vont l’amener à jouer en 2024 avec Aka Moon. Mais avant cela, le bugliste et trompettiste a joué avec quelques grands noms du Benelux, à commencer par Laurent Blondiau au sein du Mik Mâäk, ou le guitariste batave Jesse van Ruller. Mais c’est davantage à la jeune garde qu’il faut s’intéresser pour suivre les chemins empruntés par Savoyat : aux côté du fidèle pianiste Simon Groppe, que l’on retrouve également dans Pépito, il anime le collectif Bruteleiir (une enclise entre brute et Brusseleir, le patois local) qui aime à confronter l’électricité avec un jazz libre et direct. On y retrouve également le saxophoniste Sylvain Debaisieux que l’on a déjà entendu dans l’Imaginary Band de Lynn Cassiers.

Le Monde Merveilleux de Pépito © Coralie Gaume

Dans ce kot [2] bruxellois, on trouve également parmi ses proches la bassiste Louise Van den Heuvel ou encore le pianiste Wadji Riahi dont l’univers est très similaire, tout comme son bassiste Basile Rahola et son batteur Pierre Hurty que Pierre-Antoine avait croisé au sein des jeunes de l’ONJ. Toujours à cheval entre la Belgique et l’est de la France, il coanime Sornette avec le saxophoniste Yonathan Hes autour de la musique d’Ornette Coleman. Le talent d’arrangeur de Savoyat est à l’honneur dans cette lecture très fine du fameux quartet canonique alto/trompette. On le retrouve également à la manœuvre au sein du très chambriste trio Elsiris avec la pianiste Jasmien Geijsels et le batteur Elie Goulème qui a signé un premier album, Imprints, en novembre dernier. Un morceau comme « Helena II » permet de montrer que le trompettiste sait aussi travailler avec un effectif très réduit, cherchant l’essentiel jusque dans les silences.
Pierre-Antoine Savoyat, grandement marqué par sa collaboration avec Denis Badault ou sa rencontre avec Susana Santos Silva qu’il a croisée à l’International Jazz Platform en compagnie de Gard Nilssen, a l’orchestre pour passion.
Il ne devrait pas quitter le devant de la scène avant longtemps.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 avril 2024

[1La musicienne se produit sous le nom de Colline, et on retrouve Pierre-Antoine Savoyat parmi ses musiciens, NDLR.

[2Le nom des logements étudiants outre-Quiévrain, NDLR.