Chronique

Pierre Durand

Chapter One : NOLA Improvisations

Pierre Durand (g, voc), Nicholas Payton (voc), Cornell Williams (voc), John Boutté (voc)

Label / Distribution : Les disques de Lily

NOLA : New Orleans, Louisiana. Berceau du jazz. Lieu de passage inévitable, initiatique, dont rêve tôt ou tard tout jazzman ? Et une fois sur place, comment échapper au poids de l’héritage, comment ne pas se laisser entraîner par les stéréotypes ? Pierre Durand, guitariste et compositeur remarqué - occasionnellement - dans l’ONJ de Daniel Yvinec, dans le SoundPainting Orchestra de l’UMJ dirigé par de François Jeanneau ou dans son propre Roots Quartet, qui lui a valu les prix de Groupe et de Composition au Concours International de La Défense en 2005, propose ici la réponse la plus personnelle qui soit, basée sur une grande part d’improvisation et une authenticité maximale.

NOLA Improvisations, enregistré en solo dans les studios de Piety Street, à quelques centaines de mètres du French Quarter, surprend d’abord par sa texture. Ce grain sonore, subtil alliage d’âpreté et de clarté, brut et très « première prise », est mis au service d’un artiste qui tente de saisir une essence musicale de la « Crescent City ». Pour cela, Pierre Durand s’est rendu à la Nouvelle-Orléans en restant le plus vierge possible, sa perception de la ville ne provenant que d’œuvres (films, livres, musique) qui l’ont nourri par le passé. Son disque possède donc l’évidente sincérité du voyageur découvrant un lieu mythique et tentant de préserver précieusement ses premières impressions, aussi contrastées soient-elles. NOLA Improvisations revêt alors l’aspect vertigineux qui est parfois l’apanage de l’instant présent : la guitare est tour à tour seule et multiple – via les artifices du re-recording -, acoustique (dobro) puis électrique, dépouillée ou polyphonique, dissonante, à l’opposé des parures d’une post-production trop raffinée.

Et NOLA, dans tout cela ? Son âme plane au dessus du disque. « Emigré » évoque la ville comme archétype du brassage culturel avec tout d’abord un son imitant le balafon (créé à l’aide d’un ticket de métro coincé dans les cordes), puis en créant progressivement le mélange à l’aide de boucles échantillonnées de percussions, de riffs électriques qui se superposent peu à peu jusqu’à atteindre un véritable enchevêtrement sonore. « Who the Damn’ Is John Scofield ? » se base sur le même principe d’empilement de boucles jusqu’au chaos après une longue introduction onirique improvisée en solo ; mais ici l’ambiance générale est funk et les motifs mélodiques souvent out, en référence au guitariste du titre. Autre facette : « Au bord », lente et mélancolique chorale (assurée par des artistes du cru : Nicholas Payton, Cornell Williams et John Boutté), semble être une lointaine descendante du gospel, tandis que « In Man We Trust (Almost) » met en place l’atmosphère inédite d’une église perdue au cœur de l’Inde, illustrée par un bourdon et des sons de cloches produits à la guitare en re-recording. À côtés de ces compositions, deux reprises : le standard « When I Grow Too Old To Dream » et la reprise radicalement épurée du blues « Jesus Just Left Chicago » de ZZ Top.

Dans sa volonté de restituer sensations et perceptions, et dans son rejet radical de tout formatage, tout académisme, Chapter One : NOLA Improvisations se révèle donc résolument impressionniste. C’est une oeuvre à la fois naïve et complexe, sincère et engagée, jonglant avec la densité et l’épure, dont la plus belle qualité – si rare - est peut-être de surprendre à chaque instant. On ne peut donc que se réjouir de ce titre, qui nous fait miroiter d’autres étonnements à venir.

Les vidéos des concerts de la Carte blanche de Pierre Durand sur la Péniche L’Improviste