Chronique

Cathala / Durand / Vaillant

Live au Sunset

Sylvain Cathala (ts), Pierre Durand (eg), Franck Vaillant (dm)

Label / Distribution : Connexe Records

Un trio peut en cacher un autre. Pour succéder à Flow & Cycle (qui avait laissé une forte impression à Citizen Jazz), le saxophoniste ténor Sylvain Cathala a choisi sur Live au Sunset une nouvelle formation, également tripartite, pour explorer des univers à la croisée d’esthétiques différentes mais subtilement fondues dans un même dessein : plutôt qu’une succession de collages stylistiques, une synthèse astucieuse.

Au centre de cette machine, le batteur Franck Vaillant (riche de multiples expériences, au sein de ses propres formations, bien sûr, et aussi à l’aise chez Fred Poulet que dans le groupe angevin Lo’Jo) ne joue pas un rôle structurant : les deux autres n’ont guère besoin de cadre ; il est plutôt une force abrasive. Il instille des rythmiques puissantes, très profondément marquées sur les temps, qui donnent donc une assise solide à l’ensemble. Son style fourni, bien que tout en finesse, recèle tantôt l’efficacité du punk, tantôt des beats rappelant la jungle et l’électro des années 90 (« Romantik »).

En ouvrant le champ à ce que le rock peut produire de plus électrique, Pierre Durand crée des explorations tendues et des tourneries entêtantes qui n’empêchent pas, lors des prises de paroles, des envolées surprenantes (« Bloody », où l’instrument parvient à sonner comme un orgue). Le guitariste ne se cantonne pas au vocabulaire du rock mais, sur ses compositions personnelles, en repousse les limites tout en lui empruntant ses structures. « White Dog », par exemple, longue mélopée emphatique et pesante, paraphrase de manière on ne peut plus explicite le « Black Dog » de Led Zeppelin (sur IV, 1971).

De son côté, Cathala assume l’histoire du jazz et la transfigure. Fidèle à la tradition de circulation démocratique qui peut régner dans les trios, il se positionne d’un point de vue égalitaire dans son rapport à l’autre, mais n’hésite pas à s’improviser bassiste en offrant à ses condisciples des lignes de fond aussi discrètes que soutenues (« Black Uranus »). Lors de solos renversants d’efficacité, il sait aussi travailler sur le son et tirer une déroutante raucité métallique de l’épaisseur de son ténor. Quoique marqué par l’enseignement de Steve Coleman durant les années 90, avec tout ce qu’il comporte de penchant pour l’abstraction, il a à cœur (comme avec son trio avec Sarah Murcia et Christophe Lavergne) de jouer une musique immédiatement sensitive, voire sensualiste. Mais c’est là une sensualité actuelle, urbaine, au sens où la brutalité, les contrastes violents, les accélérations qui en sont partie intégrante doivent être envisagés non d’un point de vue négatif, mais comme une force stimulatrice.

A ce versant énergique, il faut néanmoins en ajouter un plus subtil, moins évident, logé au creux de ces déflagrations sonores. Difficile, en effet, de ne pas être emporté par les complexités des cycles qui, sur certains titres, font voler en éclat les repères les plus élémentaires. Après l’immédiateté des premiers morceaux, la suite « To Begin », « Black Uranus » et « Endymion » (signée Cathala), qui débouche sur « Spiréa » (Vaillant) bouscule autant le corps que l’esprit, et le trio tend perpétuellement vers le point de rupture avec une tonicité réjouissante.

L’enregistrement live participe pleinement de l’intensité de cette musique brûlante, urgente, parfois même obsédante, qui prend ainsi toute son ampleur. Programmateurs de rock, vous pouvez pressentir ce trio : il saura aussi convaincre les publics rompus aux approches binaires.