Chronique

Roberto Fonseca

Abuc

Roberto Fonseca (p, synth, voc, perc), Yandy Martinez (dm), Ramsés Rodriguez (perc)

Label / Distribution : Impulse !

On peut ne pas être sujet aux fièvres latines, immunisé même contre le soi-disant bouillonnement tropical, et néanmoins se repasser en boucle ce huitième album de Roberto Fonseca. Il y a bien sûr son jeu, tour à tour facétieux ou poignant, libre et précis, et qui lui a valu de remplacer Rubén González dans le Buena Vista Social Club, il y a surtout la désinvolture et la générosité avec lesquelles il donne en partage, à nous qui écoutons mais aussi aux nombreux invités de ce disque, les monumentales richesses de la musique cubaine.

Abuc, Cuba à l’envers, n’est pas un album qui lorgne sur les grandes heures de la musique cubaine, que ce soit avec nostalgie ou même avec révérence, c’est plutôt un disque qui porte le regard partout où celle-ci a donné ses fruits. Les États-Unis pour commencer, avec « Cubano Chant » composé par le pianiste américain Ray Bryant, thème qui, d’abord avec orchestre, ensuite au piano seul, ouvre et ferme l’album. La Nouvelle-Orléans, aussi, avec Trombone Shorty, si l’on veut bien considérer la ville comme une presqu’île caribéenne perdue dans l’immensité du continent. L’Afrique également, à laquelle le pianiste s’était déjà ouvert en collaborant avec la chanteuse malienne Fatoumata Diawara sur l’album live At Home et bien sûr toute cette Amérique du Sud que d’une certaine façon le percussionniste brésilien Zé Luis Nascimento représente.

Mais si la musique de Cuba a essaimé autour d’elle, elle a aussi su germer sur son propre terrain et de bien des façons. Parcourant comme il l’entend les différents styles qui ont fait sa légende (boléro, mambo, danzón, cha-cha-cha, contradanza), passant même de l’un à l’autre au sein d’un même titre, le pianiste démontre avec cet album − moins hommage, on le répète, que brassage inventif −, que la pérennité de la musique cubaine tient moins à la conservation fidèle de son histoire débordante qu’au fait de se tenir toujours ouverte aux quatre vents. L’île de Cuba, terre de passage et non lieu d’isolement.