Entretien

Romain Pilon et David Prez

The New Generation...

Âgés de 27 et 28 ans, Romain Pilon et David Prez, respectivement guitariste et saxophoniste, sont des jazzmen français qui vivent pleinement leur métier. Ouverts plutôt que décomplexés, ils sont l’archétype de ces jeunes compositeurs qui s’inspirent librement et sans idées préconçues des musiques qui les entourent. En concert à Maisons-Alfort, ils ont accepté de répondre à nos questions.

- Vous avez sorti votre premier disque avec votre groupe chez Fresh Sound New Talent, le label catalan de Jordi Pujol. Le deuxième sera mixé très prochainement. Allez-vous poursuivre l’expérience Fresh Sound ?

David Prez : J’ai rencontré récemment Jordi Pujol lors du dernier MIDEM à Cannes et nous nous sommes mis d’accord pour une coproduction. Ce deuxième CD sortira prochainement sur son label, vraisemblablement d’ici quelques mois.

- Comment avez-vous envisagé ce nouvel album ?

Romain Pilon : David et moi avons beaucoup écrit ces deux dernières années. A force de jouer nos morceaux, un tri s’est opéré naturellement pour le disque. Je crois qu’on est arrivé à une esthétique personnelle, affinée. C’est toujours du jazz, mais plus abordable - un peu comme des chansons où le sax ténor remplacerait la voix. J’ai écouté beaucoup de pop rock, de folk... Je souhaitais obtenir cette efficacité des morceaux qu’on rencontre dans le rock. On voulait une musique plus concise, même si on conserve deux ou trois soli par pièce.

DP : On a écouté plein de styles de musique. C’est ce qui ressort dans la nôtre.

- Quelles sont vos inspirations du moment ?

DP : Andrew Bird, RadioHead, Deerhoof… Satie et Fauré. En jazz, Lee Konitz, Booker Little, John Coltrane… et tellement d’autres... J’écoute énormément de musique de styles différents.

RP : En vrac. José Gonzales, Midlake, Luke Temple, The Shins, Led Zeppelin, Neil Young mais aussi du classique comme Mompou, Ravel... Les deux derniers disques de Maria Schneider, Rollins, Bill McHenry ....

D. Prez et R. Plon - photo by courtesy of Christian Ducasse

- Ces derniers temps, on constate une influence croissante du rock dans le milieu du jazz. Je pense, entre autres, à Yaron Herman qui a repris du Police ou du Britney Spears. C’est assez nouveau, non ?

RP : Je ne crois pas que ce soit un phénomène récent. Melhdau fait des reprises depuis longtemps - de Nick Drake ou de Radiohead. Les Bad Plus ont fait des tas de reprises aussi, Mark Turner reprend « She Said » des Beatles. Et puis tu as aussi tout le courant jazz-rock des années 70 : Bitches Brew de Miles Davis, Emergency de Tony Williams... Comme le rock est à la mode en ce moment, l’influence se fait peut être un peu plus sentir, mais non, ce n’est pas nouveau.

DP : On se souvient essentiellement des reprises, mais il y a aussi ceux qui écrivent dans le style rock ou pop. C’est différent car c’est un travail plus personnel. Je pense à des musiciens comme Seamus Blake ou Chris Cheek (The Bloomdaddies).

- Comment composez vous ? Avec l’objectif d’intégrer le jazz et le rock ?

DP : C’est à force d’écouter des choses différentes que les inspirations viennent à toi, naturellement, sans forcer, avec le temps. On assimile ce qu’on a écouté et ça ressort de manière inconsciente.

RP : Un morceau peut s’écrire d’une traite ou prendre des mois avant d’arriver à maturation. Ça doit rester naturel, donc je n’écris pas en fonction de ce que j’ai entendu ou "dans le style de”.

- Fresh Sound a acquis une notoriété de débusqueur de talents avec des disques qui révèlent un certain calibrage dans une musique mainstream moderne...

DP : Fresh Sound est un label underground. On est très libres dans nos choix. Le producteur ne nous impose rien : pas de reprises ni de style particulier. C’est très créatif.

- Aviez-vous prospecté auprès d’autres maisons de disques ?

DP : Avec ce groupe non ! On a envoyé la maquette et, quelques jours plus tard, Pujol nous a contactés pour nous dire que ça lui plaisait. Avant ça, j’avais déjà enregistré un 1er disque à New York en 2004 avec Bill Stewart, Johannes Weidenmueller et Franck Amsallem. Il n’est malheureusement pas sorti... J’avais pourtant prospecté tous les labels. Mais tous me répondaient de manière détournée, en disant avoir déjà trop de saxophonistes à leur catalogue… Je pense surtout qu’ils ne voulaient pas prendre le risque de sortir le disque d’un jeune musicien inconnu, même entouré de musiciens plus que confirmés.

RP : Pour moi, c’était un rêve que de faire un disque chez Fresh Sound. J’adorais tous leurs disques : le premier Kurt Rosenwinkel, le premier Mehldau, Wine de Chris Cheek... Personnellement, j’avais déjà contacté le label pour une démo avec Tommy Crane, Matt Brewer (la rythmique de Greg Osby) qu’on avait enregistrée quand j’étais à New York. À Boston, j’en avais fait une maquette avec le vibraphoniste Warren Wolf qui joue avec Christian McBride entre autres. Rien de tout cela n’a eu de suite, malheureusement.

- Quelle est votre expérience aux USA ? Que vous a-t-elle apporté ?

RP : J’étais fan de Metheny vers 15-16 ans et j’avais lu qu’il avait été à la Berklee [School of Music]. J’ai voulu faire pareil. Je suis parti y faire un stage d’été de cinq semaines. Au retour je n’avais qu’une envie : y retourner ! Tous ces jeunes musiciens qui jouaient terrible, des sessions tous les jours, c’était tellement stimulant ! Après le bac j’ai passé l’audition pour le cursus complet. J’ai obtenu une bourse. Je suis donc parti à 18 ans, je savais que c’était là bas que ça se passait... Puis, à mon arrivée j’ai halluciné. Le niveau était très élevé... Pour citer les guitaristes présents : Lage Lund, Lionel Loueke, David Doruzka... que des tueurs ! Et à New York, même histoire... Il y a une dynamique qu’on ne trouve pas ici : le swing, l’énergie, l’urgence de cette musique, c’est dans leur tradition.

DP : J’y suis allé ponctuellement car j’avais de la famille proche installée là-bas. La première fois c’était en 2002, j’ai fait partie cette année de la quinzaine de saxophonistes sélectionnés pour assister à la Master Class annuelle de Dave Liebman en Pennsylvannie. Ça durait une semaine et c’était très intense. J’ai beaucoup appris. Surtout, ça m’a donné l’envie de retourner aux USA et notamment à New York pour voir ce qui s’y passait. J’y suis retourné pas mal de fois depuis, surtout pour écouter des concerts, mais j’ai également fait des sessions (avec entre autres le guitariste Lionel Loueke). D’ailleurs, c’est lors d’une de ces sessions new-yorkaises, à Times Square, en 2004, que j’ai rencontré Romain.

R. Pilon et D. Prez - photo by courtesy of Christian Ducasse

- Comment êtes vous arrivés au jazz ?

RP : J’ai eu un prof de guitare, Philippe Kraft, qui m’a fait découvrir le jazz fusion, Scofield, Metheny, etc. En même temps, mon beau-père écoutait pas mal de jazz à la maison - les disques de Stan Getz tournaient en boucle. Vers 15-16 ans j’ai acheté mes premiers disques de jazz : Kind of Blue de Miles Davis et The Incredible Jazz Guitar of Wes Montgomery... je n’ai plus écouté que ça pendant près de dix ans, une sorte de virus !

DP : J’ai eu la chance d’apprendre la musique dans une école ouverte à tous les styles. J’avais de bons professeurs de saxophone qui m’ont fait découvrir le jazz et surtout, j’ai très vite joué et improvisé dans des groupes. Comme Romain, les premiers disques de “jazz” que j’ai écoutés étaient issus de la période “jazz fusion”, notamment ceux de Michael Brecker. Puis je suis passé aux disques de Charlie Parker, John Coltrane, Stan Getz, Sonny Rollins, Dexter Gordon...

- Sur votre premier CD, le groupe était constitué de Yoni Zelnik et Karl Jannuska...

DP : C’est le même groupe depuis nos débuts, en 2004. Pour nous, Karl et Yoni forment la “rythmique idéale”. Pour leur son, leur créativité, leur culture, leur musicalité et la volonté qu’ils ont eue dès le début de s’impliquer dans notre projet.

RP : Quand j’écris, j’ai le son du groupe en tête. C’est aussi plus facile d’écrire quand tu sais avec qui tu vas jouer.

- Après sa session d’enregistrement avec Kenny Burrell, Coltrane aurait dit que les duos sax-guitare ne pouvaient pas sonner.

RP : En même temps, j’ai lu qu’il voulait Wes Montgomery dans son quartet, à un moment... Il a du changer d’avis ! En tout cas, le disque avec Burrell est l’un des meilleurs de sax et guitare. Le son est incroyable. Sinon il y a d’autres collaboration sax-guitare : Wes Montgomery et Johnny Griffin, et bien sûr Kurt Rosenwinkel et Mark Turner : leur façon d’aborder l’harmonie, les thèmes à l’unisson, les compos... C’est traumatisant !

DP : Moi, j’ai adoré la session Coltrane/Burrell ! Il y a aussi les disques de Lovano et Scofield que j ai beaucoup écoutés, le groove de cette formation est terrible… Il doit beaucoup à Bill Stewart.

- Autrement, il est gentil Karl ? (lequel accorde ses peaux au même moment, occupant l’espace sonore ?)

RP : Karl Jannuska est TRÈS gentil.

DP : Ça se voit qu’il est méchant ! Quand il joue...

RP : Il joue méchant !!