Entretien

Ronnie Lynn Patterson

En 2003, Ronnie Lynn Patterson, pianiste français d’origine américaine, sortait d’une longue période d’obscurité et de galère avec un disque de compositions, « Mississippi » qui recevait de nombreuses bonnes critiques et récompenses.

En 2003, Ronnie Lynn Patterson, pianiste français d’origine américaine, sortait d’une longue période d’obscurité et de galère avec un disque de compositions, « Mississippi » qui recevait de nombreuses bonnes critiques et récompenses. Pour autant, le combat pour la reconnaissance était loin d’être terminé et aujourd’hui encore, Ronnie Lynn poursuit son long chemin vers la lumière. Citizen Jazz est allé à la rencontre de ce personnage humble, authentique et attachant.

  • Tu es resté jusqu’à quel âge aux Etats-Unis ?

Jusqu’à 33 ans… moins 4 ans ! Car, quand j’avais entre 8 et 12 ans, avec toute ma famille, on a vécu en Espagne, à côté de Madrid. Mon père était infirmier dans les hôpitaux militaires, donc il bougeait pas mal. Ça nous a permis d’e connaître l’Europe. Après l’Espagne, on s’est installés dans le Mississippi. J’y ai passé toutes les années déterminantes de mon adolescence. On vivait sur une base militaire, dans une petite ville, Columbus, au nord-est de l’état. C’est là qu’a commencé l’épanouissement de ma vie, tant musicale que personnelle.

  • C’est en souvenir de cette période passée dans le Mississippi que ton album avec Michel Benita et Jeff Boudreaux porte ce nom ?

Oui, en effet. Cet album est dédié aux musiciens de cet Etat. On a l’habitude de les considérer comme des bluesmen, c’est-à-dire avant tout comme des Noirs opprimés. Moi, c’est à ces musiciens en tant qu’artistes que j’ai dédié ma musique.

  • Quand on te demande quelles son tes influences, tu cites souvent Morton Feldman, Rachmaninov. On associe souvent ton jeu à celui de Keith Jarrett. Cela, ajouté au fait que tu as quitté les Etats-Unis pour vivre en Europe, me donne envie de te poser une question un peu provocante : as-tu rejeté ta culture ?

Ou bien est-ce ma culture qui m’a rejeté ? Va savoir ! C’est vrai que parfois je me suis senti un peu à l’écart dans ma propre communauté. Mais non, je ne peux pas dire que j’aie rejeté ma propre culture. Mes origines sont afro-américaines et mes racines musicales aussi. Je ne rejette pas mes origines. Disons que je les mélange tout naturellement. J’ai reçu une culture en musique classique grâce à ma mère et le jazz, lui, me vient de mon père. J’ai obtenu un premier prix de caisse claire avec le Mississippi All State Symphony Orchestra pour faire plaisir à ma mère qui avait longtemps rêvé d’une carrière dans la musique classique. Mais parallèlement dans la famille, nous écoutions Al Green, Santana, Jimi Hendrix, The Isley Brothers, The Spinners, Gladys Knight and the Pips, The Stylistics, Curtis Mayfield et beaucoup d’autres. Tous ces musiciens font partie de moi et ont aidé à définir ce que je suis musicalement. Mon père me poussait dans le sens du jazz en me faisant écouter Elvin Jones, Philly Joe Jones, Max Roach, Art Blakey, Vernell Fournier parmi d’autres… Un jour, j’ai reçu une grande claque en écoutant trois disques dont deux de John Coltrane : Live at the Village Vanguard, Live at the Village Vanguard Again !, et The Empty Foxhole de Ornette Coleman.

Ronnie Lynn Patterson
© Patrick Audoux - Vues sur scènes
  • En somme, tu as été formé au langage de la musique classique, mais tu n’as jamais appris le langage du jazz ?

Pardonne-moi, mais le jazz pour moi n’est pas un langage. Le jazz, c’est d’abord une forme d’expression musicale qui couvre une multitude de possibilités d’expressions non nommées. Maintenant, si tu veux parler d’un langage pré-établi, je dois dire que non, je ne l’ai pas appris au sens académique du terme puisque je suis autodidacte. J’ai bien sûr écouté beaucoup de disques de jazz mais je n’ai jamais retranscrit un solo ou repris les idées de quelqu’un d’autre, et ne le ferai jamais car ça ne m’intéresse pas. Il faut simplement jouer ce que le cœur et la musique te dictent. Les musiques de Coltrane, Ornette Coleman, Keith Jarrett et Morton Feldman m’ont aidé à vraiment comprendre ça !!

  • Quoiqu’il en soit, tu as été écartelé entre ta mère et ton père, entre classique et jazz ?

Oui en quelque sorte… Mais mes parents sont très cultivés dans toutes les musiques. Ils sont vraiment mélomanes et je trouvais ça vraiment chouette !
Mais l’instant marquant de ma vie musicale a été le passage de la batterie au piano.
A l’époque où je jouais de la batterie, mon professeur était un batteur de premier rang en même temps qu’un pianiste concertiste classique. Je l’ai entendu plusieurs fois jouer et ça m’a profondément marqué. J’avais 15 ans et je prenais des cours particuliers avec lui. Pendant cette période si instructive, j’éprouvais une fascination pour le piano mais sans m’y mettre vraiment - pourtant il y avait un piano chez mes parents car ma mère en jouait. Ce que je veux dire, c’est que j’étais déjà au contact du piano. Le déclic s’est produit un peu plus tard, quand j’ai acheté un album sorti chez Atlantic Records avec quatre pianistes différents : Chick Corea, McCoy Tyner, Herbie Hancock et Keith Jarrett. J’ai été bouleversé. Chacun était très différent. Ces musiciens ont changé littéralement ma vie, en particulier Jarrett et McCoy Tyner. Pour moi ces deux-là étaient les plus originaux. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me mettre au piano. J’avais 20 ans et la vie est devenue plus difficile : en changeant d’instrument, je repartais de zéro et je ne comptais que sur moi. A cette époque, je faisais des jobs payés presque rien et le reste du temps je le consacrais au piano. C’est comme ça, en autodidacte, que j’ai appris cet instrument.
Aux Etats-Unis, je n’étais pas un musicien professionnel mais un bon pianiste qu’on appelait pour faire des remplacements. Pour être professionnel et avoir des dates, il fallait entrer en concurrence avec les autres et ça ne correspondait pas du tout à ma personnalité. Je ne voulais pas entrer là-dedans. Mais je n’avais pas perdu l’espoir d’être un jour un musicien professionnel ; c’est pourquoi, aimant les voyages, j’ai décidé de changer d’air, à la fin des années 80.
J’ai d’abord vécu un an et demi au Québec, à Montréal, une ville que j’ai beaucoup aimée et où j’ai pu faire mes premiers pas en français. C’est aussi là qu’est né mon envie de revenir vivre en Europe. Voilà comment je suis arrivé en France le 12 juillet 1991.
Mes débuts ici ont été très durs. J’ai eu du mal à obtenir des papiers ; je me suis fait voler mon sac de voyage ; mes économies se sont vite envolées et je me suis retrouvé sans argent, sans vêtements et… sans concerts ! -J’ai fait des tas de petits boulots. Plus d’une fois j’ai crevé la dallen comme on dit. Il m’est arrivé souvent de devoir dormir dans la rue. Parfois, des amis me dépannaient, d’autres fois, j’arrivais à me payer un petit hôtel. J’étais vraiment dans la dèche… Je ne cache pas que ce fut souvent une grande souffrance, mais ce qui m’a aidé à tenir c’est l’espoir de pouvoir faire entendre ma musique. Autre grand soutien durant cette période : la beauté de certaines musiques - Rachmaninov, Morton Feldman... Quand on souffre, il est impossible d’écouter certaines musiques. Par exemple, je ne pouvais pas écouter de John Lee Hooker car ce n’était pas la musique dont j’avais besoin. Alors que la musique de Feldman avait le pouvoir d’apaiser mes souffrances. De plus, cette musique était pour moi riche d’enseignements. J’y ai appris l’importance du silence, pas uniquement dans la musique mais dans la vie. Les « Sunbear Concerts » de Keith Jarrett m’ont aussi énormément apporté pendant cette période difficile.

  • Mais alors, comment t’en es-tu sorti ?

Je m’en suis sorti parce que je savais musicalement où je devais aller. J’ai commencé à ce moment-là à travailler quelques partitions de Rachmaninov qui me tenaient à cœur (des Moments musicaux, des Préludes et aussi le Deuxième concerto ). J’ai pu le faire grâce à Jean-Louis Beydon, directeur du Conservatoire de Vanves et à Racha Arodaky, pianiste concertiste et professeur, qui m’ont permis de répéter au conservatoire. C’est ainsi que j’ai pu garder la tête hors de l’eau et tenir le cap. L’autre personne qui m’a aidé, c’est Martial Solal, en m’invitant dans son émission sur France Musique en 1996. Je lui avais envoyé une cassette, il l’a écoutée et presque tout de suite il m’a contacté, au conservatoire de Vanves. Je lui resterai éternellement reconnaissant pour ce geste et sa disponibilité. Depuis, nous sommes restés en contact (j’ai même récemment fait partie du jury du dernier concours de piano qui porte son nom), et c’est quelqu’un pour qui j’ai une très grande estime, artistiquement et humainement parlant. Et puis il y avait aussi celle qui allait devenir mon épouse en 1997, Anne Segalen Patterson, qui m’a apporté son amour, son soutien et sa générosité.

Ronnie Lynn Patterson
© Patrick Audoux - Vues sur scènes
  • Tu dis que tu te sentais à l’écart dans ta communauté. En quoi étais- tu à l’écart ?

Aux Etats-Unis ? Eh bien, en 1984, six ans après mes débuts au piano, j’ai quitté le sud des Etats-Unis pour aller vivre à Washington parce qu’il se passait plus de choses là-bas en musique et que je voulais rencontrer d’autres musiciens. Seulement, je n’avais pas d’argent ; je suis resté longtemps SDF. Heureusement, là aussi j’avais trouvé une école de musique où je pouvais travailler le piano. Peu à peu j’ai rencontré des musiciens tels que Shirley Horn, Andrew White III, Keater Betts (bassiste d’Ella Fitzgerald), Mulgrew Miller, James King (bassiste d’Elvin Jones), Hugh Walker, George Coleman…. Steve Williams (batteur de Shirley Horn) m’a proposé de venir jouer un week-end dans son Quintet avec Wallace Roney, Charlie Young et Pepe Gonzalez. J’ai aussi remplacé ponctuellement le pianiste de David « Fathead » Newman. Mais, si j’ai rencontré toutes ces personnes, rares sont celles qui m’ont invité à jouer, sauf exceptionnellement, pour remplacer quelqu’un. En cela, je peux dire que je ne me suis jamais senti le bienvenu dans cette communauté.

  • Et ici, en France, tu as senti qu’on t’acceptait mieux en tant qu’individu, que personnalité ?

Non, pas du tout ! Au fil de toutes ces années en France (ça fait maintenant seize ans pour être exact), combien de fois tu m’as vu sur les grandes scènes ou les festivals, ici, en Amérique, ou ailleurs ? Tu as déjà entendu parler de moi dans la presse jazz, mis à part les chroniques de Mississippi ?
Mississippi a été mon premier album sous mon nom, produit par mon épouse bien-aimée Anne et moi-même et édité par Jean Jacques Pussiau pour NightBirdMusic. La presse l’a très bien reçu, j’ai eu d’excellentes critiques et j’étais très content. Mais ce que je n’accepte pas, c’est que j’ai envoyé presque une centaine de dossiers avec mon CD à des salles de concert et des festivals un peu partout en France et j’ai eu en retour seulement deux dates pour mon trio sur des grands scènes… Sinon, j’ai joué une ou deux fois par an au Sunside à Paris. Je pense vraiment que Mississippi méritait une meilleure exposition et je reconnais que tout ça m’a rendu assez amer. D’ailleurs, je ne trouve pas correct qu’ici en France, les organisateurs ne prennent pas la peine de répondre aux courriers qu’on leur envoie, même pour donner une réponse négative. Ensuite, je suis assez écoeuré de voir toujours les mêmes musiciens programmés dans les divers festivals… Où est l’originalité ?

  • Tu as l’impression d’être un musicien injustement méconnu ?

ET COMMENT !!! Comment aurais-je pu être reconnu alors que je n’étais tout simplement pas entendu ? Un moment très important pour moi a été, en 1998, mon premier engagement avec un musicien très connu ici en France qui m’a proposé de jouer avec lui au Duc des Lombards. Au début de cette expérience, le public du club ne m’entendait même pas, ou très difficilement, car le piano était toujours en arrière-plan, quasi inaudible. Ensuite on a enregistré un album en quintet. Quand j’écoute ce disque, je trouve que je n’ai pas été mis en valeur, pas respecté. Je ne suis pas le seul à penser que ma présence sur ce disque est quasi inexistante. Pour se faire connaître dans ces conditions là… Les chroniqueurs et organisateurs de concerts et de festivals peuvent formuler toutes sortes de prétexte ou prétendre ne pas s’intéresser à ton travail puisqu’ils ne t’entendent pas !! Et ça, je dis que ce n’est pas ce que le jazz représente. Pour moi, le jazz c’est la liberté et l’expression de la liberté, pas l’apartheid !!! A l’époque, j’avais pourtant été primé deux fois au Concours de Jazz de La Défense - comme quoi, jusqu’à maintenant les circuits jazz des deux côtés de l’Atlantique m’ont été refusés.
Mais il y a quand même des personnes qui m’ont aidé, soutenu et encouragé durant toutes ces années. Je voudrais citer et remercier les journalistes Bernard Loupias et Thierry Quénum. Il y a aussi Anne Montaron, qui m’a plusieurs fois invité dans sa superbe émission « A l’improviste » sur France Musique. Il y a encore Philippe Romanoni, directeur de « Jazz à Besançon », et Mixel Etxecopar et Beñat Achiary, deux grands musiciens qui organisent aussi un festival dans leur beau Pays Basque (« Errobiko Festibala », à Itxassou).

  • Avec Mississippi, tu as eu l’occasion de t’exprimer librement, et c’est un disque en effet très personnel. Mais il ne faut pas rester sur ce succès, j’imagine que tu as d’autres projets ?

Le disque suivant, c’est The Gernika Suite, un duo avec le batteur Didier Lasserre, originaire de Bordeaux. On s’est rencontrés il y a quelques années au Pays Basque, grâce à Beñat Achiary. Didier et moi avons décidé de rendre hommage à nos amis basques. D’ailleurs, je suis en train d’apprendre le basque, depuis un an ! Le disque vient juste de sortir. Je tiens à remercier Didier et Matthieu Immer, producteurs de ce disque et propriétaires du label Amor Fati. Je voudrais également remercier Philippe Méziat, directeur artistique du Bordeaux Jazz Festival, pour son aide précieuse.

Ronnie Lynn Patterson
© Patrick Audoux - Vues sur scènes
  • Toi qui es aussi batteur, ça doit avoir une saveur particulière, un duo avec un batteur ?

A Besançon, en 2005, j’avais déjà joué en duo avec Ramon Lopez et apprécié cette expérience. C’est un contexte inhabituel mais qui vous accorde une liberté quasi totale. Et puis quand j’étais aux Etats-Unis, du fait que j’étais aussi hispanophone j’ai eu beaucoup de contacts avec de super percussionnistes venus de Cuba, de Panama, du Vénézuela, du Salvador… J’en profite pour saluer mes amis Roberto Dominich, Mauricio Rivas et Anderson Allen. J’ai joué très souvent avec eux juste en duo, au piano ou au clavier électrique. Cela a été riche d’enseignements pour moi, des années un peu folles où il faut bien reconnaître que je picolais pas mal. Il y avait beaucoup de cañas et de rhum ! (rires). J’en ai notamment gardé beaucoup d’intérêt pour la musique de Cuba car je sentais que dans les autres pays, on jouait « el son montuno » avec un swing qui n’avait rien à faire avec celui de Cuba. L’authenticité de ce rythme est proprement cubaine.

  • Peut-on dire que la musique entendue pendant ces années « latino » est une des influences de ta propre musique, ou bien c’était simplement un épisode de ta vie, parmi d’autres ?

Ça a été une des périodes les plus heureuses de ma vie, car en fréquentant cette communauté antillaise hispanophone, en particulier, j’ai connu des gens tolérants et qui ont pris vraiment le temps de m’expliquer à fond cette musique et de me montrer comment la jouer. Si tu écoutes « Barcelona » sur Mississippi, tu entendras un peu de « son montuno ». Mes amis cubains m’appelaient à l’époque « el montunero yankee » ! Oui, ces musiques ont une influence énorme sur ma musique !!

  • Puisque nous parlons de jeunes, nous parlons d’avenir : quels sont tes projets, as-tu des concerts à venir ?

Actuellement, je travaille avec différentes personnes avec qui j’ai plusieurs dates cet été. Il y a par exemple un spectacle qu’on jouera à Nantes et à Besançon en juin avec la danseuse togolaise Flora Thifaine, le chanteur basque Beñat Achiary, Didier Lasserre, l’électroacousticien Pierre Vissler et le plasticien Jean-Claude Barboff. C’est un spectacle autour des œuvres de la poétesse basque Itxaro Borda. Il y a aussi, en juillet, au festival de Porquerolles, le spectacle musical de Frank Cassenti sur Thelonius Monk avec Jean-Jacques Avenel. Puis je serai au Festival de Radio France à Montpellier et au Festival de Mauléon en Pays Basque avec Didier Lasserre pour la présentation du duo « The Gernika Suite. » En août, j’ai plusieurs dates en Espagne pour mon trio « Mississippi » avec Louis Moutin et Stéphane Kerecki.
J’ai aussi divers projets en perspectives, qui concernent des musiciens tels que Louis Moutin, Anders Jormin, Kevin Davy, Stéphane Kerecki, Mixel Etxecopar. J’ai deux cahiers de compositions originales que je voudrais enregistrer mais il reste à trouver une structure intéressée et intéressante !

  • Quant on entend Mississippi on se dit que ce genre de musique aurait pu paraître sur ECM non ?

Oui, effectivement ! Le premier disque ECM que j’ai acheté, c’est un coffret de Keith Jarrett comprenant quatre CD (Sundial, Hourglass, Staircase et Sand ) et un autre de l’Art Ensemble of Chicago. Je rêve de travailler avec ECM ! J’ai rencontré Manfred Eicher une première fois il y a trois ans à Munich pendant un Symposium, une conférence sur la musique improvisée, et une deuxième fois ici à Paris. Nous avons passé des moments très sympa.
Quand j’étais à Munich, j’ai pu assister à l’enregistrement du nouvel album du Roscoe Mitchell’s Transatlantic Ensemble, Composition/Improvisation n°1, 2 & 3, qui vient de sortir chez ECM. Je me rappelle que pendant une pause où tout le monde était sorti, moi inclus, j’ai entendu le son du piano dans la salle de concert où l’enregistrement avait lieu. J’y suis retourné, et c’était Manfred Eicher qui jouait ; j’ai découvert un vrai pianiste ! Il me semble avoir entendu dire qu’il avait une formation de bassiste classique mais à cette occasion, j’ai pu découvrir un peu son univers sonore. En assistant à un des concerts ECM ce soir-là, j’ai vu qu’Eicher s’occupait aussi de la console. Résultat, concert sublime et prise de son parfaite. Oui, je voudrais vraiment travailler avec lui.

  • On ne peut évoquer ECM sans parler de Keith Jarrett. En quoi t’a-t-il influencé ?

Sa musique m’a profondément marqué par sa grande sincérité, une générosité sans fin, l’importance qu’il y a à prendre de vrais risques, et surtout la folie de ses phrasés imprévisibles, qui me font d’ailleurs penser à Ornette Coleman, autre influence majeure sur ma musique.
Je voudrais juste dire un mot sur Morton Feldman, si tu me le permets. Avant d’enregistrer sa musique en 2001, je ne connaissais ni son parcours ni sa personnalité, mais je sentais une mélancolie douloureuse dans la musique de cet homme - tant de choses passent à travers la musique…

  • Peux-tu nous citer des oeuvres de Morton Feldman qui te viennent spontanément à l’esprit quand tu repenses à la fois à tes années de galère et à la musique de ce compositeur ?

Sûrement ! For Philie Guston, pour flûte, célesta et piano… Palais de Mari, pour piano… Words and Music pour piano et musique de chambre, Piano and Orchestra... Toutes ces partitions sont celles que j’écoute et joue le plus, mais pas toutes intégralement car For Philip Guston, par exemple, dure plus de quatre heures ! Ce sont carrément des chefs-d’œuvre. Et d’ailleurs, j’aimerais proposer ces partitions à la Cité de la Musique.

  • Ce sont des musiques très difficiles à jouer ?

Techniquement ? La question n’est pas là. L’essentiel est de parvenir à les jouer avec son cœur. Bien sûr, le travail est capital. Ça me rappelle la conversation avec le directeur de la Scala que rapporte Keith Jarrett dans les notes de pochette de son disque en solo dans cette salle légendaire : « The heart is where the music is ». Plus généralement, toutes les approches techniques ont leur spécificité mais il ne faut jamais oublier l’essentiel.

Quand les pianistes s’amusent : Ronnie Lynn Patterson avec Yaron Herman
© Patrick Audoux - Vues sur scènes

Note de l’interviewer : Reste à souhaiter que Ronnie Lynn trouvera de nombreux organisateurs pour permettre à un plus vaste public de partager toutes les émotions dont on sent bien qu’il est rempli…

par Laurent Poiget // Publié le 14 mai 2007
P.-S. :

Discographie :

  • The Gernika Suite, (Amor Fati/Allumés du Jazz), 2007
  • Mississippi (NightBirdMusic/Harmonia Mundi), 2003
  • Morton Feldman, Palais de Mari/Piano (Nocturne), 2001
  • Aldo Romano, Corner (Label Bleu/Harmonia Mundi), 1998

Concerts à venir :

  • le 16 mai  : Limoges, La Borie, avec Jean-Jacques Avenel et Jeff Boudreaux
  • le 8 juin  : Nantes avec Flora Thifaine et Beñat Achiary
  • le 30 juin  : Besançon avec Flora Thifaine et Beñat Achiary
  • le 11 juillet  : Jazz à Porquerolles avec Jean-Jacques Avenel et Frank Cassenti
  • le 19 juillet  : Gasteiz Vitoria, Pais Vasco-España Trio Mississippi
  • le 24 juillet  : Festival Radio France à Montpellier avec Didier Lasserre
  • le 4 août  : Mauléon (Pays basque) avec Didier Lasserre
  • les 6, 7, 8,  ; Ségovie, Espagne, Trio Mississippi

Photo chapeau © Anne Segalen Patterson