Chronique

Roy Mor

After The Real Thing

Roy Mor (p, elp), Amos Hoffman (oud, g), Myles Sloniker (b), Itay Morchi (dm), Davy Lazar (bgl).

Label / Distribution : Ubuntu Music

Roy Mor, pianiste trentenaire de nationalité israélienne, s’installe à New-York au mitan de la précédente décennie, suivant les pas de son frère aîné, lui-même pianiste… des deux Avishaï Cohen (le contrebassiste et le trompettiste). Ce touche-à-tout de génie renoue avec ses amours jazz de l’adolescence après un enrôlement dans Tsahal qui a failli le briser, sans pour autant rejeter ses racines proche-orientales (car après tout, Israël, c’est le Proche-Orient). De fait, la présence d’un oudiste donne au disque les atours capiteux d’un jazz aux contours arabo-andalous ou bien même mezrahi - cette culture des Juifs du Moyen-Orient. Ainsi de ce « Jerusalem Mezcla » en hommage au marché de la ville et de ses saveurs métisses. Si le oudiste semble un peu trop sage (on eût aimé plus de spiritualité, notamment dans les chorus), c’est peut-être parce que le groupe lorgne vers la chanson populaire israélienne, allant jusqu’à adapter « The Echo », que chanta en son temps une certaine… Rika Zaraï - le titre est d’ailleurs composé par le mari de cette dernière !

Bien affûté cependant sera l’auditeur.trice qui saura distinguer les mille et une nuances géographiques de cet instrument que pratiquait déjà, au mitan du siècle dernier, le légendaire Ahmed Abdul-Malik, qui fut l’un des contrebassistes de Monk. Roy Mor et son groupe s’inscrivent quelque part dans cette histoire. D’ailleurs, au piano, il déploie des phrasés que n’eût pas dédaignés le grand prêtre du be-bop au détour d’une superbe ballade sur le fil (« Daybreak »), allant même jusqu’à intégrer dans son jeu des accents stride à la Fats Waller (chouette citation des dernières mesures de « Jitterbug Waltz » sur « Playground », un trois temps qui swingue méchamment). Certaines plages se font plus électriques, le leader officiant au Fender Rhodes et dialoguant avec un joueur de bugle, lorgnant vers un jeu funky qui fleure bon l’esthétique CTI. Alors, certes, ce patchwork pourrait sembler quelque peu décousu, tant les deux esthétiques principales (orientale et bop) auraient mérité d’être davantage assemblées. Pudeur de jeunesse ? Toujours est-il que, dans la famille des musiciens de jazz exilés israéliens à New-York, Roy Mor s’impose, avec cet album, comme le petit dernier avec qui il va falloir compter.

par Laurent Dussutour // Publié le 20 mars 2022
P.-S. :

Avec : Marty Kenney (b), Peter Traunmueller (dm). Joel Kruzic (b), Jeremy Dutton (dm).