Stephan Micus : les musiques sans parole
À presque 70 ans, le multi-instrumentiste présente un nouvel album : Winter’s End.
Alors qu’il approche les soixante-dix ans de vie, le multi-instrumentiste et collectionneur bavarois continue à explorer de nouvelles cultures et de nouveaux instruments. Selon une méthode éprouvée que lui seul a la patience d’appliquer, il nous propose à nouveau un album rempli d’humanité et de grâce : « Winter’s End ». Une belle rencontre…
- Stephan Micus © Simon Broughton
- Une fois encore, vous nous épatez ! Vous combinez des instruments qui, en principe, ne sont pas conçus pour fonctionner ensemble… Et ça marche !
Vous savez, il est possible de combiner tous les instruments du monde entier. Mais pour y arriver, il faut également s’intéresser à la culture des pays d’où ils proviennent, comprendre ces cultures. Aux quatre coins du monde, les gens font de la musique pour les mêmes raisons. La musique est un langage universel, un moyen de communication.
Le langage imaginaire est un langage universel, que tout le monde peut comprendre, ce ne sont que des sons…
- Votre objectif est-il alors de créer un univers musical inédit ?
Un aspect important de mon travail consiste à explorer le fonctionnement des instruments. Combiner ceux qui n’ont pas encore été joués ensemble. Par exemple : une flûte japonaise avec un xylophone indonésien… Mon autre passion, ce sont les voyages ! Je suis né beaucoup trop tard (rires). J’aurais aimé vivre cette époque où il existait dans le monde, et sur la carte, des zones vierges non encore explorées. Ça n’existe évidemment plus aujourd’hui. Le fait de combiner des instruments qui n’ont jamais été utilisés ensemble me donne un peu cet effet : explorer des zones vierges sur une carte musicale. Pour moi, c’est très motivant.
- Vous créez également un nouveau langage qui vous est propre, sans mots.
Oui, j’utilise un langage imaginaire. Il n’existe que deux CD sur lesquels j’utilise de vrais mots. Je chante en grec médiéval sur l’un et en japonais sur l’autre. Le langage imaginaire est un langage universel que tout le monde peut comprendre, ce ne sont que des sons…
- J’imagine que lorsqu’on cumule plusieurs voix sur un titre comme vous le faites, c’est plus facile de chanter dans un langage imaginaire ?
Non, je ne pense pas qu’il y ait une différence. Si je compose une chanson sur laquelle je ne pose qu’une seule voix, elle sera différente chaque fois que je la chanterai. Par contre, si je souhaite enregistrer 15 ou 20 voix sur ce titre (comme ça arrive souvent), je serai obligé d’en écrire le « texte ». Car si je ne chante pas chaque fois la même chose, la chanson plongera rapidement dans le chaos. En vérité, pour que ça fonctionne, cela demande autant d’énergie que d’écrire un poème dans un vrai langage !
- Votre méthode de travail demeure la même depuis 45 ans… Vous superposez les sons de vos instruments et les voix en solitaire.
C’est naturel pour moi de travailler seul. Je peux me permettre de prendre le temps qu’il faut. Pour un morceau de 4 minutes, il m’arrive de travailler trois mois dans le studio. Je ne pourrais exiger une telle patience d’aucun autre musicien. Je travaille sans pression. Évidemment, cela est rendu possible par le fait que je sais jouer de beaucoup d’instruments. Si je n’étais que flûtiste, je devrais faire appel à d’autres instrumentistes. Il y a d’autres raisons pour lesquelles je travaille seul. D’abord, comme je vous le disais, je suis passionné par les voyages. Ce ne serait pas possible de partir 5 mois en Asie ou en Afrique si je travaillais avec un groupe de musiciens. Enfin, j’aime la nature, j’ai toujours vécu loin des villes. Or, la vie en ville s’impose si vous désirez jouer en groupe.
Bien sûr il y a des inconvénients également quand on joue seul. On ne peut pas partager ses idées, celles des autres, explorer de nouvelles voies ensemble. Mais je suis plutôt satisfait de ma méthode de travail.
Les compositeurs ont l’habitude de travailler seuls
- Ce n’est pas un peu frustrant ? Sans la complicité avec d’autres musiciens ? Et sans concerts ?
Non, c’est bien comme ça. L’essentiel de mon travail consiste à composer de la musique. Je ne suis pas seulement un interprète… Les compositeurs ont l’habitude de travailler seuls.
- Stephan Micus © Rene Dalpra
- D’où vient votre énergie, votre motivation, après toutes ces années à travailler seul ?
Souvent, les gens ont besoin qu’une pression s’installe pour travailler, d’une dead-line… Ou de la compagnie de collaborateurs. Surtout si votre maison de disques insiste pour que vous produisiez un album tous les ans. Chez moi, il n’y a rien de cela. J’aime travailler à mon rythme, me mettre la pression seul. Je travaille tous les jours dans mon studio comme si j’allais au bureau. C’est un travail régulier. Et cela me convient.
Pour votre nouvel album « Winter’s End », en lisant les titres des morceaux, j’ai l’impression qu’il existe un fil rouge…
Non, les titres ne sont pas importants pour moi. J’éprouve d’ailleurs des difficultés pour trouver les titres des morceaux en général. Pour moi, la musique demeure un univers abstrait. Mettre des mots ou un titre sur de la musique est réducteur, j’aimerais pouvoir l’éviter. En vérité, chaque personne devrait pouvoir créer sa propre image par rapport à ce qu’il entend. Le fait de donner un titre à un morceau, c’est déjà lui imposer une image. Mais je comprends que certaines personnes aient besoin de ce titre pour rentrer plus facilement dans l’univers du morceau.
- Mon erreur provient sans doute du choix et de l’assemblage des titres… La nostalgie par rapport aux saisons qui disparaissent, l’hiver en particulier, le changement climatique…
Je ne connecte pas ma musique à l’actualité ou à des faits politiques. Je préfère rester le plus abstrait possible. Bien sûr, lorsque on lit la succession des titres de « Winter’s End », cela forme une sorte de petite histoire… Mais c’est la musique qui importe. Il ne faut pas attacher trop d’importance aux titres.
- Stephan Micus au chikulo © Rene Dalpra
- Quand vous commencez à enregistrer un nouvel album, avez-vous un concept en tête ? Une vague idée de l’endroit où vous souhaitez emmener l’auditeur ?
Non, en principe, il n’y a pas de concept. Un peu comme un réalisateur, je travaille avec des acteurs, qui sont les instruments. Je démarre avec un ou deux d’entre eux dont j’explore l’étendue des possibilités. J’improvise jusqu’à ce que j’aboutisse à une mélodie qui puisse me satisfaire. Puis je tente de nouvelles combinaisons… et ainsi de suite. Pour « Winter’s End », l’acteur principal est un xylophone qui provient du Mozambique : le chikulo. J’en ai joué durant des jours et des semaines, puis je l’ai combiné à d’autres instruments. C’est comme ça que l’album a commencé sa vie.
- Je reste impressionné : à presque 70 ans, vous trouvez toujours en vous cette énergie pour apprendre, pour explorer, pour vous intéresser aux autres cultures.
J’en suis moi-même surpris (il rit). Mais l’intérêt est toujours bel et bien là… Ça devient cependant de plus en plus compliqué de découvrir de nouvelles choses. Beaucoup d’instruments traditionnels disparaissent… J’ai tellement exploré ! Mais je reste ouvert à la découverte, j’espère pouvoir continuer sur cette voie.