
Adèle Viret : l’avis d’Adèle
Rencontre avec la violoncelliste française en partenariat avec le magazine belge Jazzmania
Déjà interviewée à l’occasion de la sortie de son premier album Close to the Water, la violoncelliste franco-bruxelloise se dévoile encore un peu plus dans cette rencontre.
- Adèle Viret © Robert Hansenne
- Nous avons déjà abordé l’album « Close to the Water » lors d’une interview publiée au mois d’octobre [1] ; nous allons à présent nous intéresser un peu plus à votre personnalité. Mais avant cela, comment se porte le « bébé » ?
Les retours de la presse sont très bons. Le public semble également apprécier… J’en suis très heureuse.
- J’ai eu le plaisir d’assister au concert que vous avez donné à Liège avec votre quartet. J’ai ressenti un véritable effet de groupe. Ce n’est pas nécessairement Adèle et son quartet, chacun occupant son propre espace d’expression… Était-ce voulu, ou bien cela est-il naturel chez vous ?
Je pense que c’est plutôt naturel. Du moins avec ce quartet-ci. Nous avons travaillé ensemble et je souhaitais que chacun puisse disposer d’un droit de décider. Surtout durant les concerts. Les autres projets auxquels je participe, que ce soit Mosaïc ou Medinea, sont des projets collectifs. On progresse par échanges, chacun propose des idées. Je crois pouvoir dire que c’est dans ce système-là que je me sens le plus à mon aise.
- Quels sont d’abord vos premiers souvenirs musicaux ?
C’est très difficile à dire. Ce souvenir est déformé puisqu’il s’agit d’une vidéo qui a été tournée alors que j’avais quatre ans. Sur cette vidéo, mon père m’offre un violoncelle. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai poursuivi avec cet instrument. En fait, mon papa [2] jouait avec cinq autres contrebassistes, un groupe pour lequel il avait écrit un titre pour moi, parce que j’avais du mal à m’endormir. Ce titre a rencontré un petit succès, il y a eu un clip… Je ne me souviens pas spécialement du tournage, je l’ai découvert plus tard…
- Votre père étant un musicien professionnel, pouviez-vous envisager de mener une carrière en dehors de la musique ? Vous a-t-il encouragée à suivre cette voie-là ?
Oui. Il a toujours fait en sorte que cela soit possible. Je ne me suis jamais sentie forcée de faire de la musique, il n’y avait aucune pression. Il m’a juste ouvert des portes avec l’idée que, si j’en éprouvais l’envie, ce serait possible. L’influence est naturelle. Je jouais du violoncelle dès l’âge de huit ou neuf ans en étant persuadée que cela deviendrait mon métier.
- Malgré le fait que c’est un métier relativement instable, où on peut connaître des galères ?
Il y a bien entendu eu une période de réflexion à l’âge adolescent. Est-ce que je m’investis complètement ? Est-ce que j’ai réellement envie de continuer ?
- Lui, c’est la contrebasse… et vous le violoncelle. Une façon de se démarquer… mais pas trop ?
Quand j’ai commencé à jouer, je ne percevais pas la différence entre les deux instruments. Puis le violoncelle s’est imposé comme une évidence pour moi. Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs, il a toujours fait partie de ma vie.
- Adèle Viret © Robert Hansenne
- Dans votre quartet, vous avez intégré votre jeune frère, Oscar, qui joue de la trompette (et qui chante magnifiquement). Était-ce une évidence pour vous ? Au point de composer en tenant compte de sa participation au projet.
Pas du tout. J’ai composé le répertoire du disque avant de savoir avec quels musiciens j’allais travailler. Ces morceaux sont venus d’eux-mêmes. Nous formions d’ailleurs un trio au départ. Je les ai d’abord proposés à Wajdi Riahi et à Pierre Hurty, mais je me suis rapidement rendu compte qu’il manquait quelque chose, qu’il fallait passer à quatre… Et c’est à ce moment-là que la présence de mon frère a résonné comme une évidence.
(( - Vous n’avez encore que vingt-cinq ans et, cependant, votre musique est déjà fort mature.
Au moment où est né le quartet, juste après la pandémie, on a passé beaucoup de temps à chercher. Deux ans de répétitions avant d’effectuer un premier concert. J’avais cette exigence-là, tandis que les autres membres du quartet étaient impatients de passer ce cap. Mais je savais où se situait la barre, celle que j’avais posée pour ce répertoire. Et il n’était pas question pour moi d’avancer plus loin tant que nous n’avions pas atteint cette barre… J’étais un peu stressée, mais j’ai tenu bon. La première fois que nous nous sommes présentés face au public, nous étions prêts. Et depuis, nous nous améliorons, concert après concert.
Personnellement, je ne suis pas allée au conservatoire pour le jazz.
- Vous avez accepté de faire des sacrifices pour progresser dans la musique, vous vous êtes notamment exilée à Bruxelles pour poursuivre des études au Conservatoire. Conseillerez-vous aux jeunes musiciens qui se lancent de vivre cette aventure ?
Je ne sais pas… Sans doute pas. Il faut arrêter de dire : « voilà, c’est la bonne méthode, celle qu’il faut suivre. ». C’est sans doute celle qui me convenait pour ce que je voulais faire et devenir. Mais je sais surtout que chaque musicien doit s’écouter, suivre sa propre voie. Personnellement, je ne suis pas allée au Conservatoire pour le jazz. Mais j’avais appris beaucoup de choses par mon père ou grâce aux musiciens avec lesquels je partage des projets.
- Outre les musiciens de votre famille, il y a en effet des rencontres qui ont dû être importantes. Je pense à Fabrizio Cassol ou Magic Malik.
Oui, ces deux personnes ont été très importantes pour moi. Surtout pour la confiance qu’ils m’ont donnée. J’ai rencontré Magic Malik lors d’une master-class organisée à Montreuil. Dans la foulée, il m’a invitée à le rejoindre sur scène pour un projet qu’il montait avec le bassiste Hilaire Penda. Fabrizio Cassol, c’est le projet Medinea auquel il m’a associée.
Nous nous sommes revus quand j’ai débarqué à Bruxelles. Il m’a demandé de le rejoindre dans un de ses projets monté dans le cadre du Klara Festival. Je serai là en tant qu’assistante de direction artistique en quelque sorte [3]. Il me donne l’opportunité de faire des choses que je n’aurais pas imaginé faire. Ça me fait avancer, ça me donne aussi de la confiance.
- Adèle Viret © Robert Hansenne
- Quand vous vous retrouvez seule, quelles musiques aimez-vous écouter ?
Je n’ai malheureusement pas beaucoup de temps pour écouter de la musique en ce moment. Les choses vont tellement vite ! Ça me manque, j’aimerais prendre le temps de découvrir de nouvelles choses. Et puis, lorsque l’on sort d’une journée déjà entièrement consacrée à la musique, on aspire à faire autre chose.
- Quel genre cela pourrait-il être. Par exemple, vous intéressez-vous au rap ?
Non, c’est pas trop mon truc… J’écoute en fait les autres projets montés par les musiciens avec lesquels je travaille. Du jazz essentiellement. Je découvre essentiellement des choses en me rendant à des concerts.
- Ça pourrait être le nouveau jazz ? Comme celui de Londres, par exemple ?
Non, je reste proche des scènes qui m’entourent. La France, la Belgique. Le Portugal aussi où je suis régulièrement invitée par des musiciens de la scène de Lisbonne pour des concerts et des projets. Les Pays-Bas. Ça n’a rien à voir, mais j’aime aussi certaines musiques brésiliennes. Pour le seul plaisir de l’écoute.
Le violoncelle est un instrument à part, peu courant dans le jazz, même si ça commence à évoluer un peu.
- Venons-en au volet #IWD2025. Vous êtes une jeune musicienne active dans le jazz, un milieu très masculin. Quel est votre ressenti par rapport à cela ?
C’est un peu ambigu en ce qui me concerne. Étant plus jeune, j’ai longtemps ressenti un rejet, je ne me sentais pas intégrée. Je me suis plutôt demandé si ce n’était pas à cause de l’instrument que je jouais. Le violoncelle est un instrument à part, peu courant dans le jazz, même si ça commence à évoluer un peu. Si bien que je ne sais pas dire si je me sentais exclue parce que je suis une femme ou si c’était à cause du violoncelle… Alors que les choses sont bien différentes pour une contrebasse ou une batterie, les instruments presque incontournables du jazz. C’est la raison pour laquelle j’ai monté ce quartet, pour composer moi-même un répertoire adapté au violoncelle. Ça peut inciter des leaders à m’intégrer dans leurs groupes.
- On en voit en effet, dans de très beaux projets, comme Le Cri du Caire ou chez Naïssam Jalal…
En effet, ça se fait plus couramment. Plus jeune, je n’ai pas non plus intégré le circuit des jams. L’instrument ne s’y prêtait pas. Et jouer des standards avec un violoncelle ne m’intéresse pas particulièrement. Bref, je ne rentrais pas dans les cases traditionnelles. Plus généralement, on peut dire que l’on rencontre de plus en plus de femmes dans le milieu du jazz.
- Une musicienne française, l’ondiste Christine Ott, m’a dit un jour qu’elle ressentait de la méfiance. Qu’au niveau de la composition, elle devait davantage « faire ses preuves » qu’un homme. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’elle a raison. Mais je pense aussi que c’est le cas pour beaucoup d’autres métiers. Ce n’est pas seulement lié à la musique…