Chronique

Surnatural Orchestra

Sans Tête

Sylvaine Hélary, Françoise Pelherbe, Clea Torales, Claire Van Waerbeke (fl), Antonin Leymarie, Jean-Pascal Molina (dr, perc), Boris Boublil (kb), Adrien Amey, Baptiste Bouquin, Han Sen Limtung, Jeannot Salvatori, Nicolas Stephan, Fabrice Theuillon (sax), Jérôme Ballero, Laurent Gehant, Shan Lefrant (sousaphone), Hanno Baumfelder, François Roche-Juarez, Sylvain Mazens, Judith Wekstein (tb), Antoine Berjeaut, Julien Rousseau, Gaspard Manesse, Yann Priest (tp).

RécréaCtion ! L’auteur de ces lignes est prêt à prendre les paris : ce double disque-livre, le deuxième d’une formation étonnante, se présente d’ores et déjà comme l’un des événements majeurs de l’année dans la sphère musicale. Parce qu’il est un véritable choc artistique, au sens le plus complet et le plus épanouissant du terme. On sort en effet de ces 90 minutes de musique, enregistrées pour partie en public à La Dynamo de Banlieues Bleues, dans un état d’ivresse intérieure comme on n’en espérait plus depuis quelque temps…

Mais comment qualifier la musique de cette belle fanfare de 24 musiciens, experte en soundpainting [1] et débordements en tous genres, n’hésitant pas pour les besoins de sa cause débridée à citer pèle-mêle des extraits de discours d’un Berlusconi envahissant les écrans complices juste avant de lancer le thème de « La mauvaise réputation » de Brassens ? Un peu plus loin, sur le second disque, on croit fugacement reconnaître au passage les « Echoes » de Pink Floyd.

Une envolée de saxophone alto ou soprano, une courte valse nostalgique, un éclair sonore lancé par une flûte, un chant déclamé aux accents germaniques… Parce que cette fanfare est en action permanente, déjouant tous les pronostics qu’on finit par ne plus oser faire. Cette musique est un enchantement de chaque instant, où telle mesure ne laisse pas forcément deviner la suivante, sans jamais que l’enchaînement semble artificiel. Dans son grand shaker cuivré où les soufflants se taillent la part du lion [2], le Surnatural Orchestra semble avoir énergiquement secoué les molécules d’un brouet musical où s’entrechoquent les atomes de Nino Rota ou de Kurt Weill avec une frénésie créative rappelant les heures débridées du Mike Westbrook Orchestra ou les expérimentations faussement artisanales d’Henry Cow. Une façon peut-être, de dire que cette musique n’appartient qu’à elle-même, et que si elle évoque parfois d’autres univers, elle invente avant tout.

Et puisqu’il est question d’ivresse, impossible de ne pas évoquer le flacon après avoir tant vanté les bienfaits du breuvage. Parce que le Surnatural Orchestra nous met entre les mains un drôle d’OPNI (comprenez Objet Polyartistique Non Indentifié) qui comble la plupart des sens : les doigts se réjouissent à la palpation attentive d’un emballage cartonné un peu rugueux qui renferme quelques trésors supplémentaires. Juste au-dessous des disques, en effet, se nichent deux livrets à la texture sensuelle qui régalent les yeux et l’imaginaire : « Soif », une inénarrable épopée marine due à Nicolas Flesch dont on ne se lasse pas ; et « Ce qui n’est pas visible n’est pas invisible », ensemble de dessins, photos et textes énigmatiques signés Camille Sauvage, qui travaille avec le groupe depuis pas mal de temps et dont la plasticité semble indifférente aux assauts du temps. Voilà une cinglante réplique aux majors qui pleurent la fonte brutale des glaciers de leurs bénéfices — victimes expiatoires, à les en croire, d’un réchauffement piratesque et du tsunami provoqué par le déferlement du téléchargement sauvage. En proposant ce splendide objet composite, le Surnatural apporte la preuve qu’il existe encore des solutions novatrices et respectueuses de l’acheteur, propres à stimuler chez les amoureux de musique un besoin de possession que les techniques contemporaines de dématérialisation ne sauraient satisfaire. Oui, il faut être en présence de l’objet pour mieux goûter cette fanfare enchantée et en extraire tous les sucs euphorisants.

Pour conclure, citons la définition que les musiciens donnent eux-mêmes de leur projet : « Surnatural Orchestra est une utopie… Il n’y a pas de chef d’orchestre, ni chef de bande. Il y a des musiciens, des compositeurs, des arrangeurs, des charmeurs d’ouïes, des engueulades, des moments de grâce… sans concessions. A l’heure où il est de bon ton de se mettre en rang et de ne voir aucune tête dépasser, Surnatural Orchestra envahit librement, instruments à la main, la cour de récréaCtion ». Ce disque [3] est décidément une excellente nouvelle.

par Denis Desassis // Publié le 25 mai 2009

[1Langage de composition en temps réel créé par Walter Thompson dans les années 1980 pour les musiciens, les danseurs, les acteurs, les techniciens des lumières et du son, bref, tous les artistes dont l’art peut être improvisé. Le chef d’orchestre/compositeur s’adresse aux artistes par divers gestes signifiant des actions. Il peut ainsi former des phrases très complexes. Il n’y a pas réellement de genre musical défini, la plupart du temps le soundpainting n’a pas de tonalité.

[2On recense quatre flûtes, neuf saxophones, deux trombones, trois trompettes ou bugles.

[3DHRSCOCD001 Coopérative D.H.R. – Surnatural Orchestra