Scènes

Lo Triò, coup de chaleur à Nancy

Un trio du sud met le feu à l’est


Lo Triò © IDB

Une belle affluence au Théâtre de la Manufacture pour le cinquième rendez-vous de la saison 2018-2019 du Manu Jazz Club. Et un trio qui aura su mettre le public dans sa poche, avec sa musique aussi subtilement construite que chaleureuse.

Difficile de résister à ce plaisir très particulier consistant à ne pas vouloir en savoir trop sur le concert auquel on s’apprête à assister. Histoire de se sentir « neuf » et disponible, quitte à se réserver une mauvaise surprise. C’est dans cet état de fraîcheur que je suis allé à la rencontre de Lo Triò (prononcez Lou Trio) dont je savais finalement peu de choses : trois musiciens originaires du sud de la France (Toulon et Toulouse), un album au compteur (Santa Giulia), un raccourci « swing manouche » pour caractériser leur musique et une vidéo façon teaser pour me faire une première idée. Bien m’en a pris car la présence scénique du groupe a balayé les quelques réserves – trop de sagesse ? – que cette connaissance superficielle pouvait susciter.

Lo Triò © Jacky Joannès

Swing manouche ? C’est là sans doute une appellation commode pour rameuter un public nombreux au Théâtre de la Manufacture – ce que souligne non sans délectation Thibaud Rolland, désormais aux commandes de NJP, lors de sa présentation du concert – mais une définition somme toute trop restrictive. Bien sûr, il y a ces accélérations spectaculaires de la guitare d’Émile Mélenchon et la frénésie d’un tempo magnifiquement soutenu par la contrebasse, charnelle et mélodique de Rémi Bouyssière ; quant aux couleurs changeantes du violon de Bastien Ribot, sans doute héritières de celui de Stéphane Grappelli au-delà de sa proximité avec Didier Lockwood, elles nous renvoient parfois aux heures chaudes de la musique signée Django. Mais ce n’est là qu’un des aspects d’un répertoire qui reprend pour l’essentiel celui de l’album. Lo Triò est une formation qui trouve son inspiration dans les grandes heures du jazz US, comme le prouve une reprise de « Tricotism » signée Oscar Pettiford (un thème popularisé aussi par Joe Pass et NHOP) ou bien encore celle de « Nardis », dont on peine toujours à savoir si le compositeur a pour nom Miles Davis ou Bill Evans. À certains moments, Monk n’est pas loin, car le trio n’aime rien tant que les changements soudains de direction, les prises de risques rythmiques qui font penser à l’univers du pianiste. On sent aussi une influence plus diffuse, celle de la musique française du début du XXe siècle, comme le laisse deviner le jeu d’Émile Mélenchon, dont les accents classiques sont manifestes. Parfois aussi, sa guitare s’hispanise et semble vouloir rendre hommage à Paco De Lucia.

Lo Triò privilégie la fluidité et la circulation toujours harmonieuse de la parole entre ses musiciens.

On ne s’ennuie pas un seul instant durant les deux sets (car telle est la tradition au Manu Jazz Club). Lo Triò, pour virtuose qu’il soit – plusieurs chorus en ont administré une preuve jamais démonstrative, et le public a particulièrement goûté ceux d’un Rémi Bouyssière en grande forme – privilégie la fluidité et la circulation toujours harmonieuse de la parole entre ses musiciens. Il n’y a pas de leader, la forme triangulaire est équilatérale, si l’on veut filer la métaphore géométrique. Chacun prend sa part du travail, tant au plan harmonique que rythmique et la construction plutôt savante des compositions ne nuit jamais à la spontanéité de leur interprétation.

La soirée s’achève avec « La Vie en rose » en guise de rappel, ce dont on saura gré à Lo Triò, non pour la composition elle-même – j’avoue avoir toujours été insensible, pour ne pas dire hermétique à cette chanson – mais plutôt en raison d’une version mutine et presque fugitive. Une sortie en douceur, dans une grande respiration, avec le sourire. Ça fait du bien !