Chronique

Tenor Sax Legends/George Gershwin

Label / Distribution : Cristal Records

On ne dira jamais tout le bien que l’on pense de la collection thématique Original Sound de Luxe qui paraît sur le label Cristal records. Une série dont on attend avec impatience chaque nouvel épisode, travail de mémoire indispensable pour la connaissance et la transmission du jazz.

Certes, les amateurs éclairés connaissent les titres, les thèmes et les musiciens dont il est question dans chaque livraison, et en particulier dans ce numéro très classiquement consacré aux légendes du sax ténor. Ces chers collectionneurs sont tout à fait capables de retrouver en un temps record sur leurs étagères impeccablement rangées les vinyles originaux. Au lieu d’un titre amoureusement choisi par l’érudit Claude Carrière, ils vous sortiront l’album entier. Mais on peut aussi apprécier cette recherche de quintessence acquise avec ces compilations pas du tout « dégoûtantes » et à un prix des plus économiques de surcroît.

Dans ce Tenor Sax Legends dix-huit figures exemplaires illustrent un des instruments-clés du jazz, de « Bean », surnom de l’incontournable Coleman Hawkins, dans la version fondatrice du 11 octobre 1939 de « Body and Soul », sans oublier l’émouvant Lester Young dans un de ses plus grands tubes, « These Foolish Things », à Don Byas ressuscitant Gene Tierney dans un « Laura » anthologique. Le toujours créatif (à plus de quatre-vingts ans) Wayne Shorter était déjà formidable avec son jeune « Tenderfoot » en 1960. Les « duellistes » Dexter Gordon et Wardell Gray s’affrontent dans une haletante poursuite, justement nommée « The Chase », en 1947. La lutte est-elle plus amicale entre Al Cohn et Zoot Sims sur « Tenor for Two Please, Jack », en 1956 ?

On redécouvrira des perles brutes de musiciens souvent en recherche à leur époque, certains reconnus comme Sonny Rollins, John Coltrane, Stan Getz, d’autres plus obscurs pour le grand public (Herschel Evans, Wardell Gray, Flip Philips).

Comme à chaque livraison, on se délectera à parcourir un véritable livret avec notes précises sur les dates d’enregistrement, le personnel, les conditions de la séance. Nul besoin, donc, de se reporter au Dictionnaire du jazz pour avoir accès à ces éléments indispensables qui font souvent défaut dans les compilations publiées à la va-vite par des « majors » peu scrupuleuses.

Autant dire qu’en un seul album, on a une leçon d’histoire aussi décoiffante que palpitante, un hommage à ces pères fondateurs, parfois « encombrants » pour les plus jeunes. Mais sans faire table rase du passé, ceux-ci sauront certainement se ressourcer et garder de fermes références et de sérieux modèles.


Autre livraison passionnante de la série, celle consacrée à George Gershwin, un des grands musiciens américains du XXe siècle. Cette fois, il s’agit de s’intéresser non plus au répertoire classique (Rhapsody in Blue, le Concerto en fa, Un Américain à Paris) mais à ses mélodies populaires, les chansons de Broadway, qui firent aussi les beaux jours d’Hollywood puisque Gershwin écrivit pour des films avec Fred Astaire en vedette (« A Damsel in Distress », « Shall We Dance ? »). Le cinéma continue d’ailleurs à « emprunter » sa musique.

Elle est grande, la dette des jazzmen envers ce compositeur qui, s’il disparut prématurément en 1937, alimenta un vivier quasi inépuisable de standards. Parmi les plus joués, on retrouve « The Man I Love », « Oh ! Lady Be Good ! », « Somebody Loves Me »,« Someone To Watch Over Me », « But Not For Me », « Summertime », « Embraceable You » , « I Got Rhythm », « Nice Work If You Can Get It », « Love Is Here To Stay », tous repris ici par Ella, Sarah, Billie, mais aussi Julie London, Anita O’Day, Blossom Dearie, Peggie Lee, Carmen McRae, Jeanne Lee. Les « jazz male singers » ne sont pas oubliés, de Frankie « The Voice » Sinatra à Mel Tormé, sans oublier Fred Astaire et son alter ego Gene Kelly, et bien entendu Louis Armstrong.

A vos platines (comme on disait au siècle dernier) pour un plaisir d’écoute garanti.