Avouons-le tout net, on n’y croyait pas vraiment… Pourtant, à l’écoute du disque du trio de la saxophoniste alto Géraldine Laurent, attendu avec curiosité tant ses mérites avaient été vantés par le petit monde du jazz parisien (qui l’avait découvert dès 2006), on demeure stupéfait. La maison Dreyfus peut se vanter d’avoir signé deux altistes surprenants, talentueux et très différents : Pierrick Pedron et Géraldine Laurent.
Avec dix standards soigneusement choisis - et qui ne sont pas parmi les plus ressassés - l’enchantement suit la surprise, comme dans la splendide composition de David Zeitlin « Repeat » que l’on écouterait en boucle si on ne voulait rompre l’enchaînement du programme. Ou encore la réussite incontestable des « Fables of Faubus » de Mingus qui, en un peu plus de sept minutes, résument la trame de ce long pamphlet, développant moins le côté rageur que le chant poétique.
C’est que, sans esbroufe, la jeune femme poursuit son petit bonhomme de chemin. Elle a beaucoup joué en club (la meilleure école) dans la plus belle tradition du jazz, musique de la nuit.
Les échanges demeurent égaux au sein d’un trio vraiment équilibré où elle s’impose sans diriger réellement, aux côtés de Laurent Bataille et Yoni Zelnick, alternant judicieusement les climats, avec cependant des tempi plutôt rapides : flux continu, vitalité et vélocité de phrasé. Laurent a cette justesse de ton qui fait de chaque morceau un véritable concentré d’univers musical, assumé avec sérénité - on dirait presque avec « calme et volupté ».
Loin de toute brillance inutile, ce que l’on entend de l’album prend un relief particulier, qui le rend actuel sans autre référence que le seul désir musicien qui s’y trouve engagé. L’altiste insuffle une musicalité inouïe, comme si rien n’avait été répété ou presque, comme si le disque avait été enregistré en direct, d’un trait.
Rien n’est neuf, et pourtant tout est vrai ; en même temps, c’est comme la renaissance d’une musique qui a seulement besoin d’être jouée pour qu’on y croie à nouveau, au moment même de son surgissement. Aucune règle ne préside à ce petit miracle, mais il se produit régulièrement en club et, enfin, pour notre plus grand plaisir, sur un album.
On le dira encore, le jazz est la musique de l’instant. Géraldine Laurent avec ce Time Uut trio, confirme qu’elle s’inscrit dans la lignée des plus grand(e)s.