Chronique

Simon Moullier

Spirit Song

Simon Moullier (vib, balafon, perc), Simon Chivallon (p), Isaac Wilson (p), Luca Alemanno (b), Jongkuk Kim (dm), Dayna Stephens (ts), Morgan Guerin (ts)

Label / Distribution : Outside In Music

On aurait tort de passer à côté du premier album du jeune vibraphoniste Simon Moullier. Adoubé par rien de moins qu’un Herbie Hancock, entre autres, il donne un sacré coup de lifting à un instrument dont se saisissent d’autres jeunes gens sur la planète jazz (la Sino-Canadienne Chien-Chien Lu, l’Italo-Parisien Nicholas Thomas). Son second album, Countdown, parsemé de pépites bop, était constitué uniquement de reprises - certes avec plus que du brio, ce en quoi le boss du label Fresh Sound New Talents ne s’était pas trompé en le signant : le disque fait un carton. Or son premier disque en tant que leader, sur lequel il avait déjà convié la rythmique du suivant, recèle des trésors d’inventivité. Huit compositions dans lesquelles on sent ce besoin de partage dans l’instant créatif - c’est un pédagogue hors pair, dispensant workshops et master-classes un peu partout sur la planète. Tant avec ses compagnons d’album qu’avec l’auditeur.trice. Un instinct du jazz au service de quelque chose de plus grand que lui.

D’aucuns pourraient mégoter sur le fait que certaines compositions fleurent bon la paraphrase de tel ou tel standard - ainsi de la magnifique ballade « Kenyalang » dont le thème rappelle « Here’s That Rainy Day ». Mais en quoi n’aurait-il pas le droit de s’amuser avec des standards ? Après tout, ces compositions sont issues de ses premiers pas hors des conservatoires (jazz, percussions classiques et orientales) et autres écoles (Berklee, Thelonious Monk Institute), et pour s’émanciper de l’enseignement d’excellence qu’il y a reçu, il faut bien qu’il torde un peu le matériau qu’il a reçu en héritage (livraison irrévérencieuse, donc authentique, de « I’ll Remember April », seule reprise du disque). Oscillant entre patrimoine swing (on sent l’influence de Lionel Hampton, who else, et de Duke Ellington, of course, sur « Wind Chaser » notamment), urgence bop (Milt Jackson), voire tentations free et appétences funky (esprit de Bobby Hutcherson, es-tu là ?), les compositions originales respirent, prennent leur temps. Issues de sessions s’étalant entre 2017 et 2020, elles sont également marquées par un penchant pour une pop expérimentale du meilleur aloi, aux contours spirituels certains, avec un imparable sens du groove.

On ne peut pas ne pas être groovy avec un instrument comme le vibraphone : entre le charme évanescent d’un piano et la sensualité physique de la batterie, l’instrument auquel il se dédie n’a décidément rien d’innocent – « Acceptance », monument funky et poétique avec le nouveau boss du ténor new-yorkais Dayna Stephens… L’interplay avec le pianiste et le batteur est d’une pertinence sans faille. Et quand il passe au balafon, c’est un sillon universel qu’il creuse dans une joute confondante avec son batteur - le bien nommé « Bala », de la pure balle ! Avec ce « Spirit Song », Simon Moullier, grand parmi les grands du jazz, posait les premiers jalons d’une carrière discographique que l’on espère plus que prolifique.