Scènes

Tribu, le festival planétaire

Cette 24e édition du Festival dijonnais invite à voyager hors des sentiers battus.


Tribu Festival 2023 - DakhaBrakha © Mario Borroni

L’occasion est parfaite pour se plonger dans des actualités musicales planétaires étonnantes. La diversité culturelle est de mise au Tribu Festival, les artistes invités apportant des sonorités inédites ainsi que leurs histoires personnelles qui interrogent tout autant qu’elles fascinent. Compte rendu des soirées des 28 et 29 septembre.

Le concert de DakhaBrakha est proposé par le Tribu Festival en partenariat avec l’Opéra de Dijon dans le superbe théâtre à l’italienne de la ville. Le nom de la formation, créée à Kiev il y a une vingtaine d’années, signifie « donner / reprendre » en vieux dialecte ukrainien. Ses quatre membres dégagent une énergie communicative et ce dès le premier morceau où les percussions s’imposent. À l’origine, ce groupe a visité durant des années les villages d’Ukraine afin de collecter des chansons populaires qui auraient disparu sans cette initiative. L’intégration de rythmes en provenance des Balkans, d’Inde et d’Afrique contribue à l’originalité du groupe.

Olena Tsybulska envoûte le public avec sa voix aux variations astucieuses, son jeu complémentaire au tom basse impressionne par sa justesse. Iryna Kovalenko passe aisément du djembé au piano avec lequel elle installe des climats où viennent se greffer le jeu oriental à l’archet de la violoncelliste Nina Garenetska. La voix masculine de Marko Halanevych se place dans un registre médium et ses interventions à l’accordéon rappellent les racines folkloriques du quartet.

L’aspect scénique est primordial durant toute la prestation : des dessins élaborées aux coloris gais et inventifs alternent avec des photographies en noir et blanc qui témoignent des atrocités de la guerre en Ukraine. Ce sont les voix entremêlées qui séduisent ; les chants polyphoniques sont remarquables. DakhaBrakha affirme son authenticité sans complaisance. Le dernier morceau épouse les contours du gospel ; la salle applaudit debout et ovationne ces quatre artistes exténués et émus. La soirée se termine avec des familles ukrainiennes, venues pour l’essentiel de Besançon, qui reprennent l’hymne ukrainien avec ferveur .

Tribu Festival 2023 - DakhaBrakha © Edouard Barra

Changement de décor et direction La Vapeur, structure labellisée Scène de musique actuelle et véritable institution bourguignonne. Les Praguois de Už Jsme Doma démarrent leur prestation sur les chapeaux de roues. Âmes sensibles s’abstenir, ici le volume sonore est poussé au maximum. La formation assimilée au mouvement Rock in Opposition a une longue histoire et, jusqu’à la révolution de velours en 1990, ses musiciens étaient considérés comme illégaux par l’état communiste. Ces musiciens tchèques sont les dignes descendants de la formation dissidente The Plastic People Of the Universe qui fit parler d’elle il y a plus de cinquante ans. Le groupe se déchaîne avec une avalanche de riffs de guitare sous les doigts de Miroslav Wanek qui concurrence la rythmique survoltée. Rien ne serait d’une grande originalité s’il n’y avait l’apport du trompettiste Adam Tomášek qui installe une conjonction de lyrisme et d’harmonie bénéfique. Dans leurs costumes jaune vif, ces musiciens présentent des similitudes avec The Residents. Cette musique dense laisse exploser une énergie que des punks ne renieraient pas.

Agoro, nom issu du dialecte Twi, sublime le rap tout en y intégrant des harmonies, ce qui n’est pas commun. C’est avant tout une histoire amicale qui conduit deux rappeurs nancéiens et trois rappeurs ghanéens à se jouer des mots sur scène. Le quartet cosmique NCY Milky Band se joint à cette implosion vocale, ce qui permet de savourer les interventions de Quentin Thomas au saxophone. Son jeu habile n’est pas sans rappeler celui de Didier Malherbe et, chaque fois qu’il intervient, les joutes vocales prennent une tout autre ampleur. Achille Landois promène sa contrebasse dans cet univers contrasté où, pourtant, un équilibre musical se construit. Ce mélange artistique détonant transporte le public : Agoro a réussi son coup.

Tribu Festival 2023 © Fulu Miziki Kolektiv © Mario Borroni

Kinshasa, la capitale congolaise, est encombrée de déchets en tous genres, de plastique surtout. Les membres de Fulu Miziki Kolektiv ont décidé de magnifier cette triste réalité, ils font « la musique des poubelles » et prennent soin d’arriver largement avant les balances. Il y a une bonne raison à cela : dans leurs grandes valises, il n’y a pas que des costumes et des masques scéniques, mais bel et bien leurs instruments qu’ils montent patiemment comme un jeu de Meccano. Tout est récupéré, le bois, le métal, le plastique et, avec cet assemblage hétéroclite, la musique se crée.

Les breaks efficaces propulsés par une basse qui groove laissent libre cours à une ambiance hypnotique. Les percussions déroulent un tapis sonore qui permet à la guitare électrique de varier sans cesse les tonalités rythmiques. Pas de solos, ici tout se joue et s’improvise collectivement. Les chants ont une importance capitale tout autant que l’accoutrement inventif, un mélange de couleurs magnétiques ainsi que le port de masques futuristes. Fulu Miziki Kolektiv interpelle les consciences : ils recyclent les musiques tout autant que les déchets qui submergent la planète.

Une fois de plus le Tribu Festival a parfaitement réussi à mêler des cultures diversifiées et à surprendre l’auditoire avec des artistes qui échappent à toute classification.