Chronique

Trintignant/Korniluk/Mille

Vian Prévert Desnos

Jean-Louis Trintignant (voc), Daniel Mille (acc), Grégoire Korniluk (cello)

Label / Distribution : Universal

Il y a d’abord cette voix sépulcrale et enchanteresse qui cisèle les mots, accompagnée par l’accordéon de Daniel Mille et le violoncelle de Grégoire Korniluk. Et puis ce silence suspendu entre les syllabes, cette diction claire et traînante comme bâtie de rocaille… Jean-Louis Trintignant ne se dit peut-être pas musicien, mais sa voix est un harmonieux instrument. Certains fâcheux y chercheront le jazz, et pourtant… Son interprétation des textes de Vian, Prévert et Desnos, ces césures implacables et la sinuosité de son timbre sont bien celles d’un grand rythmicien. « Je voudrais pas crever » de Vian, posé sur les pizzicati légers du violoncelle, en est un délicieux témoignage.

C’est ce même morceau que Trintignant lisait déjà dans L’attente, le récent album de Daniel Mille, avec qui il collabore d’ailleurs depuis de longues années. Vian Prévert Desnos est entièrement centré sur la voix du comédien ; cette apparente austérité met en valeur les mots et la gourmandise avec laquelle ils sont roulés par la gorge et retenus par le souffle. Ces œuvres, souvent connues de tous, brillent de nouveaux feux qui attisent le marbre froid de la mélancolie. C’est ce spleen qu’accompagne Daniel Mille dans le magnifique « Aujourd’hui, je me suis promené » de Desnos, comme une écharpe d’amertume qui échaufferait la voix ou donnerait plus de valeur aux silences.

Enregistré en public dans les studios de La Buissonne, dont l’atmosphère chaleureuse est captée par Gérard de Haro, Vian Prévert Desnos est la trace discographique d’un spectacle intitulé « Trois poètes libertaires du XXe siècle : Prévert, Vian, Desnos ». On peut regretter que ce titre n’ait pas été conservé car c’est bien ce défi lancé à l’Ordre, cette ironie grandiose, cette révolte poétique qui unit les trois écrivains et conserve leur modernité. « Le Déserteur » [1] retrouve son honneur en emportant ses armes et en sachant tirer. Les « Étranges étrangers » de Prévert résonnent en nos temps troublés comme une salvatrice bouffée d’air. Trintignant donne à ces textes une force qui ne souffre d’aucun temps mort ni d’aucune lassitude. Un simple moment de félicité.