Scènes

Trois contrebasses contrastées pour Ostromooukhov

Le 7 mars 2024 avait lieu la soirée de remise du Prix David Ostromooukhov au Hot-Club de Lyon.


Simon Desbiolles © Mario Borroni

Le contrebassiste David Ostromooukhov est décédé à l’âge de 23 ans. Afin d’honorer son souvenir, l’association Les Nouveaux Fabulistes a organisé un premier concours en 2022 ouvert aux jeunes contrebassistes francophones.
Pour cette deuxième édition parrainée par Avishai Cohen, onze contrebassistes, dont quatre jeunes femmes, avaient postulé. Les trois finalistes présélectionnés ont présenté des pièces musicales de leur choix. Le standard composé par Sigmund Romberg « Softly, As In A Morning Sunrise » sera le morceau imposé aux trois contrebassistes finalistes, chacun d’entre eux se l’appropriera avec beaucoup d’originalité. Le leitmotiv de cet évènement particulier est de privilégier la musicalité plutôt que la technique, les trois contrebassistes qui vont se succéder en sont les garants.

Le Hot Club de Lyon situé rue Lanterne est le lieu incontournable du jazz dans la capitale des Gaules. Fondé par Raoul Bruckert en 1948, le plus vieux club de jazz européen a vu se produire Duke Ellington, Herbie Hancock, Chet Baker et bien d’autres géants du jazz. Le président de cette vénérable institution, Ludwig Laisné, se réjouit de voir autant de monde déferler ce soir dans cette cave aux pierres apparentes qui allie beauté architecturale et excellente acoustique.

Matis Regnault - Hot Club de Lyon © Mario Borroni

La maman de David Ostromooukov exprime sa gratitude envers toutes les personnes qui lui ont tendu la main afin de mener à bien cette nouvelle édition préparée depuis deux ans. Elle évoque avec dignité la douleur de la séparation et la douceur du souvenir. Le titre d’une pièce musicale écrite par le parrain de cet évènement Avishai Cohen, « Remembering », prend alors tout son sens.
Trois sets vont donner l’occasion d’entendre les contrebassistes finalistes avec des formations radicalement différentes tant par leur approche compositionnelle que par leurs influences artistiques.

C’est Simon Desbiolles avec le groupe Quartz qui ouvre les hostilités. Il met l’accent sur le lyrisme et fait entendre un jeu de contrebasse délié, lorgnant quelquefois vers une ambiance folk comme dans sa composition introspective « Fée du vent ». L’entente rythmique avec le batteur est parfaite et la maîtrise de l’archet est agréable à entendre. Le pianiste Jean Saint Loubert Bié fait forte impression : influencé par Keith Jarrett, il explore le registre du clavier avec une belle inventivité. L’émotion générée par Simon Desbiolles est palpable jusqu’à la fin de la prestation.

Tout comme Simon Desbiolles, Matis Regnault a étudié au Centre Des Musiques Didier Lockwood. Il entre en scène avec ses partenaires du trio d’Antoine Spranger qui nous viennent tout droit d’Allemagne. La musique s’oriente de suite dans l’univers coltranien, le quartet fait monter la pression et interpelle par sa maturité musicale, le public nombreux est tenu en haleine. Passant aisément des cellules modales à un tempo délié, le jeu du contrebassiste est ancré dans les sons graves, Matis Regnault fait corps avec son instrument et lors d’un long solo il s’exprime dans une coloration qui n’est pas sans rappeler Eddie Gomez. Le saxophoniste Jan Prax est promis à un bel avenir, il développe en continu des improvisations très vigoureuses. Par moments, Antoine Spranger s’oriente dans des climats chers à Brad Mehldau, ce qui permet à la tension de retomber. Mention spéciale au batteur à la fois réactif et aguerri Tobias Frohnhöfer.

Simon Torunczyk © Mario Borroni

Simon Torunczyk s’est perfectionné à Paris et Amsterdam. De stature frêle, il surprend d’emblée par l’énergie qu’il déploie sur sa contrebasse. Son jeu précis et ample offre un point d’ancrage solide aux solistes. Les effluves musicaux sont variés, passant avec facilité de paysages chers à Bill Frisell à un jazz plus conventionnel. Influencé par le trompettiste Alex Sipiagin, Simon Torunczyk écrit avec circonspection : sa composition « Duality » est à la fois inspirée et touchante. « Softly, As In A Morning Sunrise » est interprété dans un esprit bop, chaque note est soupesée. Thomas Gaucher à la guitare et Jérémie Lucchese au saxophone se succèdent dans un chase endiablé qui emporte le public. Là aussi, la maîtrise rythmique du contrebassiste est pertinente, son tirant efficace sur les cordes fait mouche, il y a du Paul Chambers chez ce jeune musicien.

Le jury présidé par François Gallix a délibéré : Simon Torunczyk est le lauréat 2024, il bénéficiera d’une tournée dans la région Rhône-Alpes. Matis Regnault arrivé second participera à une résidence artistique à La Baie des Singes à Cournon d’Auvergne et Simon Desbiolles aura droit à une journée d’enregistrement et de mastering au studio Bussière à Lyon.

Entourée par ses proches, Patrick Huet, Tanguy Sené, Margaux Létang et fortement soutenue par les adhérent·e·s, les professionnel·le·s du jazz ainsi que par les donateur·trice·s, la présidente Sylvie Fresco est ravie. La mémoire de David Ostromooukhov et de sa formation Les Fabulistes reste intacte, la contrebasse est bel et bien synonyme d’énergie vitale et musicale.