Chronique

Uri Caine

Siren

Uri Caine (p), John Hebert (b), Ben Perowsky dm)

Label / Distribution : Winter & Winter/Harmonia Mundi

Uri Caine est un musicien optimiste.
Affirmation gratuite de la part de qui ne l’a jamais approché personnellement ? Peut-être, mais les musiques de ce pianiste américain se fondent invariablement sur l’espoir, qu’elles lui soient propres, qu’il les emprunte aux standards ou - de façon plus étonnante - au répertoire classique ou romantique. Elles reposent, dans toute leur diversité, sur une conviction : le jazz est partout. Ou plutôt : il n’y a pas d’idée musicale arrêtée, la musique est multiple et, si l’on veut bien y prêter attention, le jazz a de belles heures d’invention devant lui. Il est donc possible, et peut-être plus que jamais, de « mettre du jazz » dans la musique.

Sur Siren, Uri Caine joue sa propre musique, son univers à lui, son imaginaire, à un standard près (le superbe « On Green Dolphin Street », œuvre du grand spécialiste des musiques hollywoodiennes, Bronislaw Kaper). Avec ce thème, immortel grâce à Miles et d’autres, et qui fut écrit pour le film de Victor Saville Le pays du dauphin vert (1947), Uri Caine entreprend une recréation totale en montrant combien, à partir d’une œuvre dont les ressources pourraient paraître usées, voire épuisées, par toutes ses beautés passées, on peut recréer un moment de vitalité, d’énergie, de surprise, d’intelligence du monde, d’invention et de désir - d’espoir donc. Même si - ou justement parce que – la conclusion de cette interprétation, faite d’apaisement, de sérénité et d’assurance est en rupture avec le climat et le tempo qui précèdent. On peut même penser que Siren s’articule autour de ce célèbre « Dauphin vert ». Car tout est à l’avenant dans cet univers musical étrange, sans cesse surprenant, bouleversant au sens premier : chaque pièce y est à la fois au-delà de tout possible, de toute raison et, en même temps, d’une maîtrise parfaite.

Après avoir revisité Bach, Mozart, Beethoven, Schumann, Wagner, Mahler ou même Verdi - avec un peu moins de bonheur, Uri Caine a choisi d’interpréter ses compositions avec ces excellents compagnons que sont pour lui John Hébert et Ben Perowsky, empreints de la même irrépressible force d’inventivité. Mais si sa musique reste novatrice - ne serait-ce que par sa puissance immédiate et comme intrinsèque, une sorte d’assurance du propos -, on peut se demander en quoi elle appartient bien à son auteur et ses interprètes… Car sur Siren, est-ce bien Uri qui se joue ? Au-delà de telle ou telle influence ou réminiscence, conscientes ou non, et d’une variation de plus - Goldberg ou Diabelli - ce que nous dit Uri Caine, c’est que le jazz est une « variation », quoi que l’on fasse. On ne répète pas « On Green Dolphin Street » ou Mozart ; simplement, le jazz n’a pas de fin. Le jazz est un commencement incessant et infini, ou alors il n’est pas. Le jazz est une recherche et une audace de tous les instants ou alors il n’est qu’un produit comme un autre et une musique parmi d’autres. Il n’y a de jazz que dans la force d’invention toujours remise en cause. C’est ce que démontre Siren, aux frontières de toutes les musiques possibles, au point de devenir inclassables. A l’inverse, y a-t-il un jazz que l’on puisse classer, définir ? Si la réponse est non, c’est une assurance pour l’avenir et l’optimisme de Uri Caine devient la source de bonheurs futurs.