Chronique

Harold Lopez-Nussa

New Day

Harold Lopez-Nussa (p, Rhodes), Gaston Joya (b), Ruy Adrian Lopez-Nussa (dm), Mayquel Gonzalez (tp)

Label / Distribution : Jazz Village

Le plus remarquable, chez le jeune pianiste cubain Harold Lopez-Nussa, c’est son extraordinaire capacité non pas à mélanger les genres mais à faire de toutes ses influences un art en soi. Celles-ci sont classiques - Ravel ou Villa-Lobos au premier chef -, latinos et cubaines, bien sûr, mais sans doute plus nombreuses : Keith Jarrett à coup sûr, mais aussi, si l’on veut bien l’entendre, Bud Powell et bien d’autres. Et au bout du compte, sa musique n’appartient qu’à lui : non pas pour créer un style qui lui serait propre, ce qui serait excessivement prétentieux, mais plus simplement une personnalité vraie. De celles que le mélomane recherche dans la musique.

New Day, son dernier disque en date, a souvent été présenté comme « un retour aux sources. » Encore faudrait-il qu’il s’en soit éloigné, ce qui n’est pas le cas sur les précédents (quatre, sans compter ceux consacrés à Villa-Lobos). Cela dit, ces sources sont très présentes, et à chaque seconde en osmose parfaite. C’est précisément ce qui fait de New Day une aussi belle réussite. En effet, du thème introductif, « A Degüello », à « Enero », qui clôt cet album, en passant par « Fantasmas en Caravana », où il joue et se joue du Rhodes aussi bien que du piano, c’est une brillante synthèse qu’il nous offre - non pas un mélange plus ou moins homogène, mais la conjonction de toutes ces forces en présence, et quelque chose comme leur dépassement.

Chez Harold Lopez-Nussa la musique est toujours vivante, enthousiaste et enthousiasmante, même lorsqu’elle est introspective ; elle semble se jouer des pièges techniques qu’imagine l’auditeur étourdi. On y sent du plaisir à inventer, provoquer la musique elle-même et celui qui la reçoit. Et s’il y avait une ascendance à y retrouver il faudrait la chercher du côté d’un autre Cubain magnifique, pianiste lui aussi mais de vingt ans son aîné, Gonzalo Rubalcaba. Tous deux – est-ce un hasard ? - ont d’ailleurs connu des débuts analogues : le Manuel Saumell Conservatory de La Havane, la première vraie reconnaissance internationale à Montreux, en 1990 pour l’aîné, avec Charlie Haden et Paul Motian, au concours de piano 2005 pour le cadet.

Si Lopez-Nussa s’est entouré ici de son frère Ruy Adrian Lopez-Nussa à la batterie et de son fidèle ami contrebassiste Gaston Joya, c’est sans doute parce qu’on ne se lance pas dans de tels propos, avec une telle fougue, sans compagnons de confiance. A partager le même enthousiasme on ne peut tromper ni soi-même, ni les autres. Le trompettiste Mayquel Gonzalez complète l’ensemble, et c’est comme s’il en faisait partie depuis toujours ; en jetant une nouvelle lumière sur les mondes qu’inventent ces musiciens, en démultipliant à sa façon leurs possibilités déjà remarquables. A preuve, toutes les compositions de New Day sont d’Harold Lopez-Nussa, sauf celle qui donne son titre à l’album, signée par Gonzalez.

On peut désormais attendre de grandes choses de la part de ce pianiste, et souhaiter qu’il suive la route à la fois exigeante et résolument joyeuse qu’il a commencé à tracer. Espérons que, malgré les temps qui courent, les « contraintes du marché » ne l’en détourneront pas.