Chronique

Wolfert Brederode

Ruins and Remains

Wolfert Brederode (p), Maria-Paula Majoor (vln), Daniel Torrico Menacho (vln), Karsten Kleijer (vln alto), Nick Arno van der Vuurst (cello), Joost Lijbaart (dm, perc)

Label / Distribution : ECM

Fidèle compagnon de route de la chanteuse suisso-néerlandaise Susanne Abbuehl, le pianiste bientôt quinquagénaire Wolfert Brederode signe ici son quatrième album en tant que leader sur le label de Manfred Eicher. Compositeur pour la danse, le théâtre et le cinéma, sa musique s’oriente volontiers vers le narratif. Il choisit en 2018 de consacrer une partition à la commémoration de la fin de la « grande guerre ». Pour l’occasion, il s’entoure de Joost Lijbaart, batteur et percussionniste coloriste, et du quatuor à cordes Matangui, réputé aux Pays-Bas pour explorer depuis plus de vingt ans toutes sortes de répertoires classiques et contemporains (de Haydn à Schnittke en passant par Schumann).

La suite, composée de 14 pièces courtes, figure de manière sensible et impressionniste la désolation du champ de bataille, une fois les combats terminés. On déambule au milieu des fumées, des gravats et des obus éventrés. La musique est paradoxalement belle (les thèmes poignants de « Nothing for Granted » et de « Swallow ») et en occulterait presque les corps déchiquetés. Les ambiances quasi-cinématographiques se succèdent sans qu’à aucun moment on ressente la violence des combats passés ou la colère du deuil. Faisant fi du risque de l’esthétisation, Wolfert Brederode choisit de se démarquer de la grande Histoire au profit de l’introspection et prend le parti du recul, de la résilience et de l’humilité. Les prises de paroles individuelles des musiciens sont toujours sans esbroufe, éthérées et économes (on n’est pas chez ECM par hasard). Le batteur frotte ses archets sur ses cymbales, les cordes jouent sul tasto, les notes du piano chutent doucement comme des flocons en fin d’averse.

Ruins and remains est un disque touchant. En dépit d’une utilisation relativement classique du quatuor à cordes et d’un imaginaire cinématographique plutôt hollywoodien, il n’en constitue pas moins une œuvre singulière.