Chronique

Zeina Abirached & Stéphane Tsapis

Le Piano oriental

Stéphane Tsapis (p)

Label / Distribution : Casterman

Pour tout ceux qui n’avaient pas eu la chance de découvrir ce magnifique roman graphique de Zeina Abirached lors de sa sortie, la récente augmentation de cet ouvrage par la musique de Stéphane Tsapis est l’occasion de se pencher encore plus avant dans Le Piano oriental. L’histoire est simple et fluide, autant que le dessin de la franco-libanaise. Aussi chaloupée que les mains de Tsapis sur son clavier. Légère comme le cœur du lecteur qui marche dans les pas d’Abdallah Kamanja, arrière-grand-père de l’illustratrice et inventeur génial et rêveur d’un piano à quarts de tons et sa pédale capable de faire un pont entre Orient et Occident. Sur le solo qui accompagne la BD, Stéphane Tsapis joue de ce piano à quarts de tons, et « Abdallah Kamanja » s’y insinue avec douceur, discrètement et avec élégance. Le disque est la bande-son des images, et l’on voyage avec elle.

Sur le clavier, on passe de Beyrouth à Paris, et l’on fait même « Des pas dans la neige » dans Vienne devenue impressionniste. Le récit d’Abirached mélange la vie de son aïeul et la sienne propre, celle de la double culture, du départ, de l’arrachement et de la découverte. On prend des bateaux luxueux (« La Valse du Pierre de Rosette ») et des avions qui n’effacent pas complètement la distance (« Comme un tarbouche sans pompon »). Stéphane Tsapis souligne davantage qu’il n’interprète, et le dessin noir et blanc aux contrastes marqués et très graphiques fait penser parfois aux accompagnements des films muets, volontiers bondissants, notamment avec ce « Blues de l’accordeur » qui rappelle que le pianiste est un amoureux de Monk. Y aurait-il du Chaplin chez Abdallah ? Ce ne serait guère étonnant, de la part d’un pianiste qui avait consacré un disque à Charlie & Edna. On retrouve quelques traits, notamment dans cette élégance nonchalante et l’insouciance éprise de liberté (« Le Taqsim de Zeina »).

On avait suivi Stéphane Tsapis et Zeina Abirached au Japon il y a deux ans, alors qu’ils présentaient Le Piano oriental sous forme de spectacle. Mais leur collaboration est ancienne, puisque la dessinatrice avait réalisé la pochette de Mataroa, où il était déjà question de bateau et d’exil. Ces deux-là se sont trouvés, ils ont la même vision du monde : ouvert, heureux et curieux. De ce bel ouvrage que l’on peut lire tant de fois sans jamais se lasser, Stéphane Tsapis a tiré un autre disque, plus personnel, lorsqu’il nous embarque sur son Tsapis Volant. Mais que ce soit l’un ou l’autre, il reste en filigrane la belle image d’Abdallah rêveur et de son piano oriental, chimère hélas sans lendemain, sinon cette charmante histoire.