Chronique

Jonathan Orland & Stéphane Tsapis

Youkali

Jonathan Orland (as), Stéphane Tsapis (p)

Label / Distribution : Coolabel

Patiemment, le pianiste Stéphane Tsapis construit une discographie qui entraîne le jazz vers des contrées orientales. Ainsi, de l’Europe de l’Est au pourtour méditerranéen (Grèce notamment), son Tsapis Volant, dernier en date, Le Piano Oriental avant lui ou même, en 2016, son trio Borderlines avaient en commun de visiter des musiques dites d’ailleurs, qui sont surtout des musiques d’un autre ici, chargées d’une histoire souvent longue que Tsapis aime investir avec le double bagage d’un vocabulaire américain et d’une sensibilité européenne.

Toujours désireux de nous faire entendre des inflexions aux mélismes envoûtants, le voici aujourd’hui flanqué d’un unique partenaire, Jonathan Orland, saxophoniste, pour un dialogue d’une belle unité et d’une grande élégance. Dès les premiers titres, le duo nous prend par la main et jamais ne nous lâche. Mieux, l’introductif et lent « A Hora Mit Tzibeles » ouvre un monde de délicatesse, teinté d’une nostalgie propre à la musique yiddish, qui abolit toutes frontières et laisse immédiatement place à l’émotion. Suit un parcours en douceur dans lequel on croisera des versions personnelles des compositeurs Alexander Olshanetsky ou Kurt Weill, quelques traditionnels balkaniques ou moyen-orientaux et également des pièces personnelles qui s’en inspirent.

La force du disque repose dans le choix de chants suggestifs que l’interprétation transcende. Les deux musiciens trouvent en effet, chaque fois, le ton juste pour laisser place à un jeu virtuose qui fait la richesse de l’improvisation sans jamais écraser l’imaginaire invoqué par les thèmes. Le saxophone d’Orland, en cela, balance entre une rigueur de mise en place, une sonorité précise et chaleureuse et quelques épanchements contenus qui font la valeur de son échange avec Tsapis. Pourtant leader, celui-ci laisse vivre la musique, son piano convoque sous ses doigts des motifs lumineux ou jouant au besoin du clair-obscur. Il cherche avant tout à être l’écrin dans lequel son partenaire vient se lover. Sans jamais se départir de ces tonalités mélancoliques, jamais trop chargées, les deux nous offrent une complainte touchante propice à la contemplation et à la méditation.