Chronique

Graewe / Reijseger / Hemingway

Concertgebouw Brugge 2014

Georg Graewe (p), Ernst Reijseger (cello), Gerry Hemingway (dm)

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

Davantage référence que classique parmi les classiques, le trio qui unit le violoncelliste Ernst Reijseger avec le pianiste allemand Georg Graewe et l’Étasunien Gerry Hemingway nous gratifie régulièrement d’une nouvelle archive, plus ou moins ancienne. Qu’elle date de 2008, comme leur récente sortie à l’honneur dans nos pages ou de 2014 tel ce concert enregistré à Bruges pour les Polonais de la Fundacja Słuchaj, elle n’est jamais marquée par le temps qui passe. Graewe et Hemingway évoluent dans le chant d’un trio relativement encadré, même si dans la longue pièce inaugurale « Cadrage 1 », le piano se fait diablement concertant lorsqu’il est face à un autre clavier, les marimbas de Gerry Hemingway ; habitué à être très musical, voire coloriste dans ses partis pris, le percussionniste joue au chat et à la souris avec Graewe. Ainsi, rien n’est linéaire, et c’est l’archet de Reijseger, sans autre rôle que de rassembler le puzzle, qui met de l’ordre dans le propos. Un cadrage des plus entropiques, et qui se plaît à déborder.

L’énergie déployée dans ce live est assez folle, et des plus insaisissables. Reijseger en est l’inébranlable générateur. Pendant que le piano alterne les moments tumultueux où la main droite frappe avec rage, et les instants plus ténus, voire rêveurs, le violoncelle se fait versatile ; dans « cadrage 2 », les pizzicati accélèrent les particules et transforment l’instrument en une performance polyglotte, entre contrebasse et guitare, toujours sur le fil. Membre du mythique Dutch Masters avec Misha Mengelberg, Steve Lacy et Han Bennink, le Néerlandais est à l’image de sa scène nationale, à la fois libre et discrète, irrévérencieuse et particulièrement virtuose. Dans quelque dialogue élégant avec le piano, souple et toujours en mouvement, on perçoit les ferments d’une bataille à venir. Chaque instant peut tout faire basculer.

Voilà pourquoi depuis trente ans le trio perdure, et se renouvelle. Rien n’est jamais acquis, tout est affaire d’envie. L’enregistrement a beau avoir six ans, les répliques joyeuses que les musiciens créent collectivement nous parviennent aux oreilles sans encombre. Reijseger, Graewe et Hemingway n’ont pas besoin de grands discours pour embrayer ensemble avec une authentique complicité. Concergebouw Brugge 2014 est un disque joyeux et gourmand. De ceux qui font du bien, intrinsèquement.

par Franpi Barriaux // Publié le 8 novembre 2020
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