Chronique

melc

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Jeanne Added (voc, violoncelle), Gildas Etevenard (dms), Thibault Frisoni (g), Julien Tamisier (p, kb)

Le monde de melc est difficilement descriptible. Inutile d’y chercher des repères rythmiques ou mélodiques : l’univers du groupe est avant tout un atelier sonore où règnent la destructuration et les expérimentations les plus diverses. Le travail est essentiellement orienté vers la texture du son, et à ce titre les morceaux les plus courts - environ une minute - « Okpa » et « Ekpa » évoquent véritablement un creuset de matière première musicale en fusion. Dans tout le disque, l’improvisation cohabite avec l’écriture, mais cette dernière est très restreinte et permet simplement la mise en place d’un espace d’expression et de recherche.

La plus grande qualité de melc, au-delà de l’audace même qu’il y a à composer des morceaux aux rythmes déstructurés et aux mélodies minimalistes, est qu’il entraîne l’auditeur dans des contrées inconnues et, surtout, imprévisibles. En effet, si le premier titre, « Latence », débute par un rythme de batterie ternaire assez traditionnel, résolument swing, la suite du morceau n’évoque plus en rien un terrain connu. D’obsédantes nappes de claviers font leur apparition en arrière-plan, instaurant un climat de mystère et d’inquiétude. Puis un autre clavier, jouant cette fois des notes isolées, comme égarées, dignes de Ligeti. Surviennent alors une guitare saturée mais discrète, puis un violoncelle joué pizzicato. Tous ces timbres cohabitent, s’observent et se jaugent jusqu’à trouver un terrain d’entente et exposer ensemble, presque à la fin du morceau, un thème syncopé aux vagues sonorités bop, thème encore enrichi par la voix de Jeanne Added toujours aussi loin de l’approche mélodique.

Contrairement à « Latence », où l’aboutissement naît de la coexistence de plusieurs textures, une des pistes explorées par ailleurs est la création à partir de la confrontation d’ambiances antagonistes. « Pot’Je Vlesch » en est une illustration exemplaire : la longue introduction au piano sous forme d’accords mélancoliques est bientôt tourmentée par l’arrivée de sons angoissants, frottements et cliquetis de batterie qui viennent hanter l’auditeur. Puis, furtivement, une guitare. A moins que ce ne soit un violoncelle ? ou les deux ? En effet, le mystère de melc est en partie lié au fait que l’on ignore parfois quelle est l’origine des sons… Le morceau s’oriente alors, après la disparition progressive du piano initial, vers un binaire lourd et puissant qui appuie une saturation omniprésente rappelant les oeuvres les plus noires du métal. Terrifiant.

En écoutant melc, on a l’impression d’être au plus près de la création musicale. On est loin du jazz - à part avec « Latence » -, et la quasi-absence d’organisation rythmique et mélodique de l’ensemble laisse un espace très vaste à l’imaginaire visuel de l’auditeur. Celui-ci peut errer, hagard, au sein d’un monde post-industriel ravagé (« Ekpa ») ou encore être confortablement installé dans un fauteuil situé dans une salle de torture médiévale pendant que le bourreau cherche ses outils (« Pot’Je Vlesch ») !

En ces temps d’uniformisation des propos et des formats, il est plus que réjouissant d’entendre un disque comme celui-ci, en marge, ancré dans la réflexion, la création active et la musique vivante.

par Arnaud Stefani // Publié le 8 novembre 2004
P.-S. :

Disque autoproduit et autodistribué actuellement (10 €) par Baobab - baobabillage@tele2.fr

Ce disque relativement court (un peu plus de trente minutes) vise à permettre au groupe de trouver un label et de réaliser un disque plus complet. A suivre, donc !