Scènes

L’ONJ fraternise à Saint-Claude

La venue de l’ONJ à la Fraternelle a comblé un public venu nombreux.


Sarah Murcia © Mario Borroni

L’association la Fraternelle, installée dans l’historique Maison du Peuple de Saint-Claude, accueillait Frame By Frame, attirant un public composé d’amateurs de rock tout autant que de jazz. Un ONJ en pleine forme dont les musicien·ne·s signent des improvisations de haut vol qui rehaussent la qualité de l’écriture orchestrale.

Frame By Frame bénéficie d’arrangements raffinés dus à Airelle Besson, Sylvaine Hélary, Sarah Murcia et Frédéric Maurin. Seuls les deux derniers cités sont là ce soir avec l’orchestre, qui a longuement voyagé en empruntant de nombreux modes de transport pour atteindre la cité pipière. Bruno Ruder arrivera après la balance mais cela ne pose aucun problème. L’excellente acoustique du théâtre de la Fraternelle permet d’obtenir rapidement l’équilibre sonore, l’ONJ y est à l’aise.

ONJ Fanny Meteier, Daniel Zimmermann, Jessica Simon © Mario Borroni

Rendons tout d’abord un hommage aux architectes de l’ombre, celles sans qui les couleurs musicales ne seraient pas aussi succulentes : les cornistes Mathilde Fèvre et Astrid Yamada qui ce soir ont distillé des unissons d’une grande délicatesse.

« Red », bien envoyé par Frédéric Maurin, ouvre le concert ; la ressemblance physique du chef d’orchestre avec Robert Fripp ajoute à la dévotion qu’il porte à King Crimson. Attaque décisive à la guitare, recherche de sonorités inusitées, tout cela enchante le public qui se laisse porter dans un voyage aux confins d’une musique électrique plutôt musclée. Nulle trace, de la part des arrangeur·euse·s, de ce maniérisme qu’on reproche parfois à la « progressive music ». Ce qui prime, c’est la circulation de contrastes savants et la mise en valeur de mélodies inoubliables. L’exigence des arrangements musicaux se manifeste dans le torturé « Ruins » de Henry Cow, sorti sur le second album du groupe, Unrest, il y a tout juste cinquante ans. Sans nul doute, Frédéric Maurin avait en tête le solo atypique de Fred Frith sur l’album originel. L’hommage rendu au groupe britannique est d’une intelligence rare, la texture sonore est relevée par le lyrisme à l’alto de Jean-Michel Couchet.

Alors que les premières notes d’« Atom Heart Mother » retentissent, on ne peut s’empêcher d’imaginer la surprise, voire le désaveu qu’avait rencontré Pink Floyd en 1971 de la part d’une frange de son public, peu enclin à savourer un orchestre classique. Trahison pour certains fans avides d’envolées planantes ; coup de génie pour celles et ceux qui comprenaient cette nouvelle donne reflétant les expérimentations du groupe. Sur le disque, les trombones avaient marqué les esprits par leur esthétique mahlerienne : ce soir, ce sont Jessica Simon et Daniel Zimmermann qui donnent corps à cette composition. Catherine Delaunay, impériale à la clarinette, est longuement applaudie, de même que Sylvain Bardiau qui prend à la trompette un solo exceptionnel dans la lignée de Freddie Hubbard.

ONJ Frédéric Maurin © Mario Borroni

« Industry » de King Crimson amplifie ici son univers sombre : la construction harmonique millimétrée est relevée par la section de bois et de cuivres. Le chant de Sarah Murcia et les interventions de Fanny Meteier au tuba apportent un renouveau inouï à « Firth of Fifth » de Genesis : le tuba ponctue et dessine des arabesques. Mais où Fanny Meteier va-t-elle piocher cette énergie et ce son solennel ? Elle sera acclamée, de même que Quentin Coppale, spectaculaire à la flûte. Bruno Ruder, habité par l’esprit de Tony Banks, impose sa virtuosité au synthétiseur Korg. L’ONJ couronne cette célébration du rock dit « progressif » avec « The Court Of The Crimson King », hymne crimsonien symbolique qui n’a cessé d’influencer de nombreuses formations aux quatre coins de la planète.

Le programme Frame By Frame continue son chemin parallèlement à Ex Machina animé par les compositions de Frédéric Maurin et Steve Lehman et fort bien analysé par notre confrère Nicolas Dourlhès. Pour terminer, on notera qu’en cette période inflationniste, la Fraternelle avait fixé le prix des places à dix euros (vous avez bien lu) afin de permettre au plus grand nombre de venir découvrir l’ONJ. Cette démarche honore le Directeur Christophe Joneau ainsi que son équipe.