Chronique

François Jeanneau

Une bien curieuse planète

François Jeanneau (ss, fl, synth, p, perc), Jean-François Jenny-Clark (b), Bernard Lubat (dms, perc), Michel Graillier (p, synth, perc) + Denis Duhazé (voc).

Label / Distribution : Souffle Continu

Nous nous étions félicités voici quelques mois de la réédition chez Souffle Continu d’un des rares disques enregistrés par le batteur Jacques Thollot, Watch Devil Go. C’était au début de l’année 1975. Et c’est avec le même plaisir qu’on retrouve, sur le même label, Une bien curieuse planète de François Jeanneau, publié quelques mois plus tard et dont deux musiciens figurent sur les deux enregistrements : Jeanneau lui-même et Jean-François Jenny-Clark à la contrebasse. Mais ici la batterie est tenue par le vaillant Bernard Lubat ; Michel Graillier, en provenance de Magma, s’est vu confier le piano et les claviers.

On pourrait dire de ce disque qu’il appartient à un entre-deux dans le parcours de François Jeanneau, musicien très actif aujourd’hui encore. Le saxophoniste avait fait ses armes free auprès de Jef Gilson quelques années plus tôt ; il en avait fini avec la période pop du groupe Triangle (« Peut-être demain », « Viens avec nous ») et allait s’aventurer sur les chemins plus escarpés de ce qu’on nommait jazz d’avant-garde. Un peu plus tard, on le retrouvera en action au sein du trio Humair-Jeanneau-Texier, puis dans une position plus « officielle », lorsqu’il fut nommé à la tête du premier Orchestre National de Jazz au milieu des années 80. C’est dire que les expérimentations sonores d’Une bien curieuse planète sont un objet de curiosité aujourd’hui, non dénuée il faut bien le dire d’une pointe de charme un peu suranné. Mais l’attachement qu’il suscite est réel, hors de toute considération nostalgique. Parce que ce qui caractérise cette musique avant tout, c’est son inventivité et son inclination pour les pas de côté. La présence des synthétiseurs compte pour beaucoup dans le climat progressiste qui règne, rappelant le travail de l’autre explorateur qu’était Jacques Thollot, cité un peu plus haut (« Theme For An Unknown Island », « Une bien curieuse planète » et surtout « Nostalgique du futur »). Les neuf compositions forment un patchwork parfois étonnant et dadaïste (ainsi le rageur « Fébrile et solitaire » scandé par la voix de Denis Duhazé, dernier chanteur de Triangle) où l’inventivité du saxophoniste va de pair avec un sens aigu de la mélodie (« Mr J.C. For Ever », en hommage à John Coltrane) et de l’improvisation (« Une bien curieuse planète », « Droit d’asile »). Le jazz en vigueur tout au long de cet album appartient certes à une époque désormais lointaine, mais sa volonté d’aller voir ailleurs, sa curiosité ludique et sa démarche constamment prospective en font un disque qui reste d’actualité.

par Denis Desassis // Publié le 20 août 2023
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