Portrait

L’ONJ au temps des Grands Formats

L’Orchestre National de Jazz développe sa toile de fond


ONJ © Christophe Charpenel

Il y a toujours une couleur et une pensée très attendue lorsque paraît un premier disque du nouveau directeur de l’ONJ ; c’est l’équivalent d’un discours de politique générale pour un premier ministre.

Dans la période récente, on se souvient de Around Robert Wyatt qui décidait qu’il s’affranchirait des formes, et Europa Paris qui intronisait le rêve de l’architecte Olivier Benoit. Pour son entrée en matière, et parce qu’il a décidé que son orchestre ne serait pas une forme fixe [1], Frédéric Maurin sort coup sur coup deux albums aux esthétiques différentes. Opposées ? Nullement. Modernes ? Bien sûr. Et célébrant surtout un travail de fond mené depuis de nombreuses années en France, puis en Europe : la célébration et la coordination des Grands Formats.

ONJ Fred Maurin

On l’avait pressenti lorsque le guitariste, ancien chef de Ping Machine, avait annoncé dans nos pages la formation de son ONJ. Nous avions noté alors l’équilibre entre les générations, la forte proportion de femmes et la grande complémentarité à travers tous les projets ; peut-être nous avait-il échappé l’essentiel que tous ses musiciens, mis à part quelques spécificités (certains chanteurs de Rituels notamment) étaient des membres de grands orchestres européens. Même certains acteurs, présents sur Dracula, non encore publié en disque, font partie d’autres projets en grands orchestres, comme Milena Csergo, déjà apparue sur l’album des Rugissants. Il était évident qu’une personnalité comme Fred Maurin n’allait pas travailler seul. Une logique d’ouverture qui se traduit sur les deux disques, avec la présence de Fred Pallem du Sacre du Tympan sur Dancing in Your Head(s) en charge de l’orchestration, mais aussi de personnalités aussi diverses qu’Ellinoa (Wanderlust Orchestra) ou Sylvaine Hélary (White Desert Orchestra) à l’écriture de Rituels.

Il ne faut cependant pas songer que la patte de Fred Maurin se dilue en faisant appel à des tiers. Comme c’est le cas dans les aventures collectives, les forces s’accumulent et se nourrissent. Il y a une véritable différence esthétique entre Rituels et le travail autour d’Ornette Coleman : ils se complètent et ne s’opposent pas, nonobstant ce que l’on pourrait croire. Cela donne une image de kaléidoscope, de panorama des possibles en grand orchestre au XXIe siècle qui, et ça tombe bien, embrasse également toutes les couleurs arborées par Maurin au sein de son Ping Machine, à la fois luxueux et créatif, très attentif à la tradition et subtilement iconoclaste.

L’important est que tout ceci soit cohérent, et le guitariste en est le garant dans sa volonté de dynamique de groupe. « L’ONJ ne sera pas Ping Machine » avait dit très tôt le patron de l’Orchestre National de Jazz, et c’est l’exacte vérité : l’ONJ est le reflet du moment, ce que cet orchestre a toujours plus ou moins réussi à faire. Dans le contexte actuel, au regard de la richesse dont Grands Formats est la vitrine, il était plus que nécessaire de lui donner une visibilité, voire une vraie légitimité. Il fut un temps où il était de bon ton d’opposer Grands Formats à l’ONJ. Cela semble de la préhistoire, l’ONJ est membre de Grands Formats et une synergie s’est créée.

Philipp Heck, Frédéric Maurin

Fred Maurin a très longtemps été président de la fédération. C’est désormais Fred Pallem qui a pris sa suite. Les travaux de la structure, ainsi que le dialogue entre les membres, est riche et bien souvent créatif. A l’écoute des deux premiers albums de l’ONJ, on peut légitimement penser qu’ils en représentent une belle photographie. Ce n’est pas une prise de pouvoir, c’est une volonté de témoigner d’une grande lame de fond dans le jazz français et européen. Il avait été dit à l’époque de la prise de poste d’Olivier Benoit que c’était le moment des collectifs, qui avaient éclos au début du siècle. On pourra avancer que ce nouvel ONJ est une magnifique tribune pour les Grands Formats. La vitalité des deux premiers documents de la promotion Maurin le revendique.