Portrait

On le connaît, Parker.

Le 29 août 1920, à Kansas City, naissait Charlie Parker.


Ce nouveau-né africain-américain allait devenir l’une des plus grandes figures de la musique du XXe siècle, tous styles confondus.
On fête partout le centenaire de ce musicien : émissions de radio, couvertures de magazine, livres, revues, coffrets de disques, etc. Cette parkermania s’explique par la singularité du personnage.

Charlie Parker est devenu, au fil du temps et surtout depuis sa mort le 12 mars 1955 – dans un éclat de rire, mais devant la télé – une icône, une légende et plus encore que ses collègues de catégorie (Louis Armstrong, John Coltrane, Miles Davis, Duke Ellington, etc.) une énigme.

Toute la problématique réside dans la complexité du personnage.
Sa courte mais intense vie (35 ans) et la brièveté de sa carrière musicale (une dizaine d’années) ont laissé au jazz un amer goût d’inachevé. Un peu comme pour Schubert, Mozart, Hendrix ou Dolphy. On se demande encore ce qu’il aurait pu jouer s’il était resté en vie. On a pu voir les musiciens avec qui il a inventé le bebop suivre des parcours différents et enrichir, brasser, transformer la lave brute du bop en concrétions plus polies, plus taillées voire en diamants pour certains.
Et Bird ?
Qu’aurait-il inventé ?

D’autre part, il a passé sa courte mais intense vie à ne jouer que de la musique, en négligeant les aspects moins égoïstes tels que la famille, les amis et le travail.
Connu pour ses frasques, ses retards, ses folies diverses, Charlie Parker est un héros maudit, un fou charismatique, il a fait couler beaucoup de larmes et d’encre. On sait tout de la façon dont il se conduisait, la légèreté avec laquelle il s’échappait des réalités de la vie, sa consommation de stupéfiants et d’alcool l’y aidant en premier lieu. On imagine à quel point il devait se sentir seul.

Enfin, la musique qu’il a inventée dans cette vie courte mais intense a soudainement modifié la trajectoire de jazz, comme courant musical du XXe siècle. Le bebop a été un vrai virage. Comme un planté de bâton au ski. Et cette musique, collectivement élaborée par une poignée de jeunes gens à New York pendant que la Seconde Guerre mondiale broyait dans sa main de fer une génération entière d’humains, cette musique a ouvert la voie à plus de libertés, plus de joie, plus de possibilités pour la communauté du jazz. Charlie Parker jouait du saxophone alto comme personne à l’époque. Il avait non seulement une faculté d’improvisation étonnamment rapide et riche, mais une technique de jeu telle qu’il semblait survoler l’instrument, comme s’il lui suffisait de le tenir et que le saxophone chante par lui même. Il émettait ce qu’on appelle des ghost notes, des notes suggérées. L’oreille humaine les entend, les comprend, mais elles ne sont pas jouées. Et sur les rares vidéos qui existent, on peut voir à quel point tout cela lui semble facile.
Aujourd’hui, l’ensemble de ce qu’il a enregistré est connu, répertorié, disponible. De nombreux livres ont été publiés à son sujet, dont une partie en français. Enfin, c’est l’un des rares musiciens de jazz a avoir fait l’objet d’un film, avant qu’on ne produise en série des biopics comme autant de Reader’s Digests…

Dans la catégorie des ouvrages à lire sur Bird et sa musique, on trouve écrits par Alain Tercinet Be Bop (P.O.L) une somme sur cette musique, ses acteurs et son influence, et le fameux Parker’s Mood (Parenthèses), un portrait musical et biographique appliqué.
Jean-Pierre Jackson a écrit Charlie Parker chez Actes Sud. Une biographie sérieuse, comme celles que l’auteur réalise pour la maison d’édition (Miles Davis, Keith Jarrett, Oscar Peterson, etc.).
Enfin, Alain Gerber a signé Charlie (Fayard), un roman sur Bird comme seul Gerber sait en écrire.

Dernier-né des biographies en français, Charlie Parker de Franck Médioni sort chez Fayard en 2020. 300 pages consacrées à la vie du saxophoniste et à sa musique. Il contient aussi des témoignages de musiciens d’envergure et quelques photos historiques (une bonne partie venant des archives de Francis Paudras). Chronologique, l’histoire se déroule, truffée d’anecdotes, et emprunte parfois les sentiers glissants de la musicologie. Mais Médioni écrit fluide, simple et efficace, l’histoire se dévore sans mal.

Photo promotion du film Bird. Forest Whitaker et Clint Eastwood sur le tournage.

Pour évoquer le film Bird de Clint Eastwood, on peut se reporter à l’article « Clint et Bird » écrit en 2008 par Mathieu Durand mais toujours d’actualité. Si ce n’est qu’entre temps on a pu constater à quel point Forest Whitaker est un acteur excellent, capable de tout jouer et de faire croire qu’il le fait facilement. Il y a même une certaine ressemblance entre son personnage de Charlie Parker dans Bird d’Eastwood et celui d’Amin Dada dans Le Dernier roi d’Écosse de Macdonald. Une folie lunaire mais destructrice, un regard doux mais fou, un corps trop grand… l’acteur est le seul à pouvoir incarner les deux.

Enfin, pour ne pas se perdre dans l’immense discographie de Charlie Parker, il faut avoir quelques repères.

La plupart des disques sont des rééditions qui s’empilent au fil du temps, en changeant de nom. Dans le lot, il y a beaucoup d’enregistrements en concert dont le son est vraiment mauvais et qui n’ont qu’un intérêt musicologique (parfois c’est fatigant à écouter, même).

On peut, en coupant large, distinguer les sessions Savoy, Dial et Verve qui sont souvent regroupées. Les concerts au Birdland, le club baptisé en son honneur, enregistrés entre 1950 et 1951. Avec Charlie Parker, on ne peut pas vraiment parler d’album, dans le sens où, à part des participations à des sessions montées par d’autres – comme Charlie Parker with Strings – la plupart du temps, il enregistrait des pistes en studio pour les regrouper sur des vinyles 10’ (4 morceaux par face). Mais il n’y avait pas véritablement de travail d’édition pour faire œuvre.

A ce sujet, Craft Recordings, spécialiste de la réédition propre et éditée en vinyle (déjà à l’origine des coffrets Coltrane 58’ et Miles Davis Quintet Prestige Sessions) vient de sortir les sessions Savoy enregistrées entre 1944 et 1948 et publiées à l’époque en quatre volumes intitulés : New Sounds In Modern Music.

On y retrouve Miles Davis ou Dizzy Gillespie à la trompette, Max Roach à la batterie, Curly Russell ou Tommy Potter (et d’autres) à la basse et John Lewis ou Bud Powell ou Clyde Art au piano.
Le coffret de 4 vinyles au format 10’ est simple, à l’image des disques d’origine. Chaque disque reproduit les pochettes d’origine recto-verso et un livret accompagne l’ensemble. Un bel objet de collection.

Il existe aussi de nombreux coffrets concernant Charlie Parker, mais un seul peut se prévaloir d’une quasi-exhaustivité (on ne sait jamais), c’est le coffret de 13 cd sorti chez Frémeaux et Associés et supervisé par Alain Tercinet. L’intégrale Charlie Parker. Cet ouvrage contenant à peu près tout, il s’y trouve des pistes de moins bonne qualité, des alternates, des choses diverses et variées, il faut faire le tri.

Pour fêter le centenaire de l’oiseau rare, Le Chant du monde (distribué par PIAS) sort un coffret Charlie Parker – Now’s the Time qui regroupe toutes les sessions master (avec un bon son) enregistrées par le saxophoniste en tant que leader, avec un orchestre à cordes, avec un orchestre latino ou comme sideman. Le tout avec une vingtaine de prises rares, quelques photos et un livret. Ces 229 pistes sont réunies dans un coffret de 10 cd, une édition spéciale pour le centenaire. Le Chant du Monde en a sélectionné 24, considérées comme les 24 meilleures improvisations du saxophoniste (mais c’est un point de vue) et les propose sous la forme d’un double album vinyle « Now’s the Time ».

Cet anniversaire est l’occasion de célébrer la mémoire du musicien, mais sa musique fait l’objet d’une constante réappropriation par d’innombrables musicien.nes dans le monde, tous styles de musique confondu.
En France, récemment, c’est le tromboniste Fidel Fourneyron qui a monté un trio Un Poco Loco pour reprendre le répertoire du saxophoniste, par exemple.

Il est devenu une icône, à son niveau, et reste l’un des rares musicien.nes de jazz à avoir une statue dans sa ville natale, à faire l’objet d’un long métrage, à avoir un club qui porte son nom, des timbres à son effigie, etc…

On peut même acheter un mug pour son centenaire, je ne sais pas comment il l’aurait pris.