Scènes

Südtirol Jazz Festival (III)

(Alto Adige), 33e édition. Plusieurs concerts par jour à Bolzano (Bozen), et quelques belles découvertes.


Fanfares, orchestres de rue, master-class pour débutants et autres, ciné-concerts : à Bolzano, comme (presque) partout, on multiplie les actions destinées à afficher la pluralité du festival. Sans oublier, le soir venu, des prestations rafraîchissantes…

Error 404 - Band not found c’est le nom d’une fanfare venue de l’est en apparence, très européenne en fait, et située en Suisse, pays dont on va comprendre bientôt comment, tout en se tenant éloigné de l’europe politique, il a su depuis longtemps intégrer des langues et des cultures diverses, au prix parfois d’une certain forme de réaction, laquelle, au bout du compte, aura été moins dommageable aux peuples que certains « idéaux » de la modernité démocratique, qui n’auront été là que pour cacher les noirs desseins de leurs acteurs. Hongrois, Suisses, Français sont donc à l’œuvre dans cet orchestre « introuvable » ; ils étaient hier à Bolzano, dans les rues et par les chemins, ils seront demain dans plusieurs villages de la région. Pétulants, originaux dans le répertoire, et dégageant partout la même sympathie.

« Jazz Station » c’est un peu le bureau du festival, un endroit où l’on peut se renseigner sur les lieux et les heures, réserver sa place dans les navettes qui vous conduisent un peu partout, mais aussi un centre de rencontres et d’animation qui sera, tout au long de la semaine, le point focal d’actions diverses menées par des musicien(ne)s. Hier c’était la trompettiste anglaise Laura Jurd, aujourd’hui ce sera Leïla Martial, demain Kit Downes. Le thème choisi par la jeune trompettiste était « How to be a band-leader », et une quinzaine de volontaires - dont l’auteur de ces lignes - ont donc pris place sur les bancs de l’école improvisée pour une heure de « conduction » chorale fort bien menée, sur une chanson populaire probablement galloise. En tous cas c’est le rêve que je fis tout en m’efforçant de respecter les consignes vocales et de tempo de la conductrice.

Au sortir de cet exercice décapant, nous avions rendez-vous avec deux connaissances pour un ciné-concert à grand risque : Les Temps modernes de Charles Chaplin, en projection muette et musique improvisée par Paul Rogers (b) et Mark Sanders (dm). Je dis « grand risque », car l’exceptionnelle qualité de ce film rend les images immédiatement prégnantes, au point que la musique s’oublie à l’instant même où elle est inventée. C’est peut-être d’ailleurs la qualité fondamentale d’une « musique de film », à ceci près que la fameuse scène de chant et de danse, qui se situe vers la fin, a été mise en musique par Chaplin lui-même, musique à ce point inoubliable que même en projection muette, on « l’entend »… Mark Sanders et Paul Rogers - avec une contrebasse normale - se sont fort bien tirés de ce piège, le premier nommé arrivant à ponctuer certaines scènes de façon illustrative (il faut dire que le film se prête au rythme !!!), et le second zébrant le temps des fulgurances dont il a le secret.

Même parcours ou presque le lendemain, avec pour commencer le premier solo de sa brève carrière pour Leïla Martial, sous le titre étrange de « solo dérangé ». Cela voulait dire qu’on pouvait l’interrompre, la contester, la déranger. Ce qui fut le cas bien involontairement de ceux qui sont arrivés en retard, avec lesquels Leïla a joué, avant de se lancer dans 20 minutes d’improvisation, qui furent bien enchaînées, depuis les sons aigus et gutturaux du début jusqu’aux bribes de chansons en passant par un intermède boppisant très réjouissant. Après quoi la chanteuse a répondu à des questions, qui ont porté sur sa façon de s’engager dans la création vocale de ce solo, et sur les aspects techniques (pédales, loops) qui la rendent possible. Il y a un an environ Leïla s’est lancée dans la découverte et constitution de son clown, et cette dimension ajoute beaucoup à ce type de prestation. Le tout ayant été très applaudi.

Au Museion, mais au 4è étage qui se prête mieux au concert, nous attendaient Lauren Kinsella (voix) et Dan Nicholls (p préparé, p, claviers) ; ce dernier, adepte du piano préparé à sa façon et des claviers électroniques, est un compagnon régulier de Kit Downes dans pas mal de réalisations. Une sorte de Benoît Delbecq en plus jeune, qui dialoguerait avec une autre Claudia Solal, Lauren Kinsella, d’origine irlandaise, ayant un accent évidemment délicieux, au moins autant que celui de notre Claudia. Ce duo, qui n’a pas encore enregistré, nous a surpris très fortement par nombre de qualités : douceur générale de l’approche, intelligence du propos, qualité de la voix dans tous les registres. Lauren Kinsella choisit bien ses textes, ou ses murmures, ou ses vocalises, et Dan Nicholls met un soin manifeste à lui fabriquer un tapis de sons délicats, bien ourlés, et il a un toucher très discret. Une vraie révélation.

Lauren Kinsella & Dan Nicholls
Photo P. Méziat

Nous devions retrouver Lauren et Leïla le soir même au sein d’un septet formé et dirigé par Matthias Schriefl, celui-là même qui avait fomenté le concert au pied de la falaise à 2400 mètres. Sous le titre « G7 Great European Jazz Conference », le trompettiste, joueur de cor des Alpes et directeur d’orchestre, lui-même suisse, avait réuni six musiciens de pays différents. Outre la Française et l’Irlandaise, une chanteuse ukrainienne (Tamara Lukasheva), un guitariste islandais (Sigurdur Rôgnvaldsson), un saxophoniste finlandais (Pauli Lyytinen) et un batteur allemand (David Meier). Chacun ayant apporté son écot, il ne restait plus - sous la fraîcheur du parc de l’hôtel Laurin et sur la scène posée sur la piscine - qu’à dérouler le fil de cette Europe du jazz arrangé et improvisé. Sympathique résultat, avec bain prévu de longue date pour le leader, et au bout du compte, un collage qui aurait mérité un peu plus de répétitions (tout le monde avait un peu le nez dans les partitions), ou plus de risques.

Matthias Schriefl dans la piscine du Laurin Hotel
Photo P. Méziat