Chronique

Ab Baars & Joost Buis

Moods For Roswell

Ab Baars (ts, cl, fl), Joost Buis (tb)

Label / Distribution : Catalytic Sound

Mésestimé, le tromboniste Roswell Rudd l’est absolument ; il est donc indispensable de lui rendre hommage. Héros discret des prémices du free, ce proche de Lacy (écouter School Days, enregistré en 1963) était un fanatique d’Ellington. Raison de plus pour que deux des musiciens amstellodamois les plus intéressants de la période récente lui rendent hommage en déconstruisant, à sa manière, les titres du Duke ou ceux de Strayhorn. Joost Buis est tromboniste également, dans la pure tradition de son aîné, avec un jeu de coulisse rapide et percutant, à l’instar de ce qu’on entend dans « Sweet Stumblings/Sweet Mama », où l’unisson avec le ténor d’Ab Baars se délite peu à peu dans un stridence lointaine qui fait naître un patchwork de gimmicks avortés qui paraissent partir en tout sens alors que le cap est fermement tenu.

Ab Baars, membre de l’ICP qu’on a entendu il y a peu avec Kaja Draksler, n’est certes pas le tromboniste du duo : c’est lui qui instille le grabuge inhérent au style roswellien. Sur « Cool and Gentle », dans une démarche très chambriste, c’est lui qui lance le dialogue avec cette insistance un peu canaille qu’il a lorsqu’il passe à la clarinette. On entend de l’amusement et de la tendresse entre les deux musiciens qui se connaissent bien, tout comme ils sont rompus au travail d’Ellington ; tous deux ont enregistré Kinda Dukish en 2006 avec Wilbert de Joode à la basse et le présent disque en découle, avec l’esprit de Rudd qui vient pimenter le propos. Lorsque la discussion est à son comble sur le morceau, le trombone de Buis est d’une précision que renforce son goût pour le minimalisme. La musique va à l’essentiel.

Mais c’est sans doute sur le morceau-titre « Moods for Roswell », où Ab Baars passe au shakuhashi, cette flûte japonaise au son très métallique. Extirpé de « In a Sentimental Mood », le morceau est cerné par le silence. La flûte transperce le son d’un trombone lesté d’une sourdine, comme on écarte les ténèbres. Il y a du recueillement et un profond respect, comme un kaddish, alors même que le disque fut capté quelques semaines avant la mort de leur ami, en 2017. Il y a de l’émotion dans cette musique crépusculaire qui ne s’éteint jamais et perpétue le souvenir d’un musicien qui nous manque toujours cruellement.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 février 2021
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