Chronique

Le Bruit du [sign]

Yebunna Seneserhat

Jeanne Added (voc), Julien Rousseau (tp, fgh, sax-horn), Nicolas Stephan (as, ts), Julien Omé (g), Théo Girard (b), Sébastien Brun (dms)

Label / Distribution : Cobalt

Le nouvel album du Bruit du [sign], Yebunna Seneserhat, est né de la rencontre - provoquée par Philippe Conrath, directeur du festival Africolor -, entre le sextet et deux danseurs éthiopiens d’esketa, à l’occasion d’une création pour l’édition 2009. A priori, le mariage entre la tradition éthiopienne et la musique recherchée de la formation de Nicolas Stephan n’était pas des plus évident ; mais lorsqu’il y a écoute et volonté mutuelle d’unir la musique dans un estompage des distances, toutes les ivresses sont possibles !

La danse traditionnelle appelée esketa est faite de lents mouvements d’épaules et de transes soudaines qui chavirent le corps sur des rythmiques lancinantes. Garants d’une tradition d’ouverture au monde et d’imprégnation chère à la musique et à la danse éthiopiennes, Melaku Belay et Zinash Tsegaye ont donc frotté leur culture et leurs traditions à la compacité remarquable des compositions du saxophoniste Nicolas Stephan et du batteur Sébastien Brun. Ce dernier devient d’ailleurs, au fil de l’album, la pierre angulaire, le passeur entre musiciens et danseurs, celui qui va, par sa polyrythmie débordante bien que parfaitement rectiligne, déterminer les moments d’échauffement. En témoigne notamment l’imposant « A Paris les chattes sont lucky » [1] qui, après un long jeu sur les timbres, laisse la place à la lente transe raffinée du batteur guidé par les arabesques des danseurs, voire enivré par la spontanéité collective et les accélérations soudaines du guitariste Julien Omé (« Ukuli »), aperçu récemment dans l’excellent Rocking Chair.

Après plusieurs voyage en Éthiopie pour s’imprégner des chemins menant à la langue commune, les musiciens du Bruit du [sign] ont fait évoluer leur musique pour retranscrire l’énergie dépouillée de l’esketa et la précision de ses mouvements. Certes, on retrouve les atours enthousiastes de Heiko ou l’apparition du héros qui avait tant marqué les esprits en 2008, notamment la construction progressive d’une atmosphère dense aux rythmiques ardues faites d’électricité contenue où flottent les enluminures de Jeanne Added bâtisseuse appliquée, ou la trame de timbres, la forge en mouvement du groove intime et chaleureux qui bouillonne dans les cuivres de Julien Rousseau (« Z ») ou les cascades de basse de Théo Girard. Mais la présence de l’esketa exacerbe certaines directions privilégiées, telle la recherche de la pulsion collective, ou d’une atmosphère poétique patiemment élaborée (le magnique « M » chanté en amharique [2] par Jeanne Added).

Cette rencontre avec les deux danseurs éthiopiens aura aussi permis au sextet de poser son propos plus simplement, plus directement, en dehors de toute classification factice, loin de l’étiquette « jazz contemporain » qui lui colle à la peau. Un morceau comme « Lip 2 », tout comme le « Miam Panda » qui clôt l’album, montre une appétence pour un rock très construit, qui sait se mâtiner de complexité pour trouver le point de fusion. La parenté avec des groupes comme Quinte & Sens, Caroline ou RockingChair montre qu’il s’agit désormais d’une tendance plus que lourde du paysage musical hexagonal. Ce n’est pas ici que l’on s’en plaindra.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 février 2011

[1Une vidéo témoigne de cette énergie.

[2Langue véhiculaire de l’Éthiopie, qui en compte des centaines.