Chronique

Mihály Dresch

ZEA

Mihály Dresch (ts, ss, fuhun), Chris Potter (ts, bcl), Miklós Lukács (cmb) Ernö Hock (b) István Baló (dms)

Label / Distribution : BMC Records

Alors que la Hongrie est en pointe des pays d’Europe qui veulent à tout pris s’enfermer derrière des barbelés pour s’enferrer dans l’illusion d’un pays de cocagne, les musiciens magyars sont heureusement inscrits dans une tradition d’accueil et d’échange. Le label Budapest Music Center, qui fait vivre ce paradigme universaliste depuis tant d’années, n’a pas varié : du récent RED, profondément européen, à cette invitation lancée au multianchiste étasunien Chris Potter pour participer au quartet hongrois de Mihály Dresch, l’ouverture est maximale. Célèbre pour son approche du jazz qui intègre moult ingrédients de la musique traditionnelle d’Europe Centrale, le leader s’est entouré de fidèles.

Le contrebassiste habituel d’István Grencsó, Ernö Hock d’abord, et le batteur familier des formations de Mihály Borbély, István Baló ensuite. Soit l’une des doublettes rythmiques les plus ahurissantes du pays, comme on peut le remarquer sur l’énergique « Lad’s Dance », où les ténors rappellent au milieu des frappes rugueuses que Dresch est l’auteur de Hungarian Be-Bop aux côtés d’Archie Shepp (on le constate encore plus clairement avec « Free »). C’est joué droit devant, soutenu par Miklós Lukács, le dernier membre de ce quartet qui est pour beaucoup dans le son particulier de Zea. L’orchestre a enregistré Fuhun chez Fonó en 2014 [1].

Quant à l’illustre joueur de cymbalum, il se place comme souvent dans un rôle d’entre-deux, à la fois mélodiste, mais avant tout rythmicien. Avec Dresch, l’histoire est ancienne ; le duo Labyrintus les plaçait déjà, en 2015, dans un rapport très nomade à la musique. Ici, il remplace numériquement le piano, notamment dans le doux « Zea », mais offre une couleur supplémentaire qui transforme le « Togo » de Ed Blackwell en un cri de liberté sans frontière. Ce long morceau d’introduction de ce live au Müpa de Budapest expose la suite avec une certaine gourmandise : la clarinette basse de Potter se blottit avec douceur auprès du volubile cymbalum, avant d’être rejoint par le Fuhun. Et le Danube soudain, devint un fleuve d’Afrique de l’Ouest… Chris Potter est un habitué de ces atmosphères. Marié à une Hongroise, c’est un compagnon de route de BMC ; en 2010, on l’avait déjà entendu avec Dániel Szabó. Ici, il pénètre davantage dans le folklore mi-réel, mi-imaginaire propre aux larges contours de l’Europe Centrale. On l’y retrouve avec grand plaisir.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 avril 2017

[1Fuhun est le nom d’un flûte traditionnelle plus aiguë que le kaval dont Dresch joue ici à de nombreuses reprises.