Scènes

Vague de jazz 2012 (2) : habitudes et nouveautés

Le programmateur de Vague de jazz invite souvent la famille musicale du jazz français d’avant-garde qui n’est ni tout à fait du free ni tout à fait du jazz classique, mais quelque part entre les deux. Cette année, le rock et la chanson se sont joints à elle.


Le programmateur de Vague de jazz, Jacques-Henri Béchieau, invite souvent la même famille musicale : celle du jazz français d’avant-garde qui n’est ni tout à fait du free ni tout à fait du « jazz » classique, mais se situe quelque part entre les deux. Cette année, le rock et la chanson se sont joints à elle.

À Vague de Jazz, on commence le mois d’août par une virée dans le marais poitevin, avec ses herbes folles, ses vaches, sa vase. Le concert du 1er août est en deux parties : d’abord, Géraldine Laurent et Christophe Marguet, saxophone alto pour l’une, petite batterie pour l’autre, installés au fond d’une barque à côté d’un rameur bénévole, glissent sur l’eau, suivis par la troupe des spectateurs depuis le chemin qui longe le canal. Cette déambulation en plein air sur fond de roseaux et d’odeurs aquatiques donne à la musique acoustique une dimension éolienne. Les effets d’audition sont multiples selon qu’on se trouve près ou loin de la barque, sous le vent ou sur un pont… Le répertoire, essentiellement composé de standards de Charlie Parker, est un prélude au concert sous chapiteau. Un solo de guitare de Manu Codjia accueille le duo au débarcadère. La saxophoniste et le batteur le rejoignent ensuite devant un public attablé, dans les odeurs de grillades et de vin vendéen. Le trio enchaîne des thèmes bop jusqu’à l’arrivée en renfort du bugliste et scatteur Médéric Collignon, parrain du festival, pour un « Night in Tunisia » électrique et entraînant.

Reflet de Christophe Marguet et Géraldine Laurent © Edward Perraud

Du côté des habitués, on retrouve à Longeville-sur-Mer le 2 août le saxophoniste Thomas de Pourquery et le groupe Supersonic, qui enflamment la salle avec un hommage à Sun Ra. C’est en fait un spectacle total que nous proposent Arnaud Roulin (cl), Fabrice Martinez (tp), Edward Perraud (dr), Frederick Galiay (b), Laurent Bardainne (s) et Thomas de Pourquery (as, voix) : les reprises de Sun Ra sont en partie chorégraphiées et restituent ainsi la folie mystique de leur auteur. Malheureusement, le concert pâtit d’un volume trop élevé et d’un mixage incertain. Dommage, car les occasions ne manquent pas d’entendre de la bonne musique : une front line invitée avec les deux saxophonistes Daniel Erdmann et Robin Fincker, et Médéric Collignon au bugle, ou un final lyrique avec la reprise de « Theme for the Eulipians » de Rahsaan Roland Kirk, la partie chantée étant assurée par Jeanne Added.

Enfin, le trio Romano-Sclavis-Texier se produit le 3 août au Théâtre de Verdure des Sables d’Olonne, face à la mer. Conçu en partenariat avec la ville, le festival y propose toute une série de concerts gratuits. Parmi les amateurs venus exprès, flânent aussi des touristes. Coup d’œil furtif, oreille surprise, les badauds font vite le choix de rester écouter ou de s’en retourner longer la grève en léchant les vitrines. Ceux qui restent s’interrogent haut et fort : « Que se passe-t-il ? Quelle est cette musique ? Qui sont ces gens ? C’est quel groupe ? C’est un saxophone ? » Cependant, le public est plutôt attentif devant ce premier concert de la série sablaise. Louis Sclavis (cl), Aldo Romano (dr) et Henri Texier (cb) dont le jeu est si bien rodé qu’il en est usé, peu enclin à l’aventure, enchaînent les morceaux sans énergie. Mais leur statut de stars du jazz suffit à attirer les foules, et ils sont très applaudis.

Eve Risser © Hélène Collon/Objectif Jazz

La fin de cette séquence du festival, les 5 et 6 août, est plus hétérogène. Un double concert réunit le 5, aux Sables d’Olonne, chanson et duo improvisé. Accompagnée par le pianiste Denis Chouillet, Elise Caron présente d’abord son répertoire de chansons farfelues. Déliée et expressionniste, elle conquiert le public par son sens de l’humour, sa poésie et sa malice. De « La boulangère » à « L’arbre » en passant par « Jacques a cent ans », ce sont désormais des tubes qu’elle chante : de petites histoires qui commencent de manière réaliste et s’envolent sans qu’on y prenne garde vers l’univers merveilleux des contes.

Elle laisse la place au duo Donkey Monkey, composé de la pianiste Eve Risser et de la batteuse Yuko Oshima, qui se lancent toutes deux dans un set énergique et explosif, à l’image de leur musique, une série de morceaux présentés dans un esprit humoristique mais bizarrement construits, tels que « Hanakana » ou « Ouature » (respectivement, sur les disques éponymes). L’apparente décontraction des musiciennes cache à peine la recherche inventive des sonorités, des brisures, des mélodies. Toutes deux chantent aussi, et c’est naturellement qu’elles invitent Jeanne Added à les rejoindre pour un morceau, répété l’après-midi même, puis Elise Caron et Denis Chouillet pour un final digne d’une scène chorale tirée d’un film de Jacques Tati.

Enfin, le lendemain soir, c’est sur invitation qu’une centaine de privilégiés peut assister à la soirée privée organisée dans le jardin de la présidente de l’association Vague de jazz, Florence Savy Hérault, pour fêter les dix ans du festival. Après les discours et les grillades se succèdent, sous une marquise, le flûtiste Joce Mienniel pour un solo d’ouverture, la chanteuse Alexandra Katridji pour un tour de chant, le violoniste Dominique Pifarély en solo acoustique, rejoint pour un duo aigu et inédit par Mienniel au piccolo, puis le duo Donkey Monkey pour une piqûre de rappel et, en clôture, Jeanne Added en solo.

Celle-ci profite de la petite configuration de ce concert pour tester quelques-unes des nouveautés de son répertoire. Toujours en s’accompagnant de sa basse électrique, sur laquelle elle place les points d’appuis de son chant de plus en plus rauque et rock, elle utilise désormais une pédale de boucles qui lui permet de doubler les voix mélodiques et harmoniques en soutien de ses chansons, dont certaines sont nouvelles. Jeanne Added, chanteuse de jazz remarquée et remarquable, était ce soir une rockeuse uniquement. Et elle le restera.