Scènes

Jazz à Vienne 2013 : un melting pot bien garni

La seconde semaine de Jazz à Vienne a vu se côtoyer tous les styles, du gospel au funk-disco, du jazz à Santana…


La seconde semaine de Jazz à Vienne a vu se côtoyer tous les styles, du gospel au funk-disco, du jazz à Santana…

05/07. Il avait ouvert la soirée « Nouvelle Génération » (mention bien, on est resté sur sa faim) mais la révélation a eu lieu quelques heures plus tard, au Club de Minuit : Guillaume Perret, saxophoniste, escorté de Jim Grandcamp (g), de Yoann Serra (dms) et Philippe Bussonnet (b), entre en musique comme sur un ring, entamant avec l’instrument un étrange tête à tête ou corps à corps énergique qui tient à la fois de la confrontation, de la passion, de la volonté d’aller plus loin, de révéler toujours plus. Dans cette ambiance quasi intime, on sent que tout doit être dit. Dans la force déployée, dans les effets recherchés, on se dit que Coltrane, sa vigueur, sa ferveur, ne sont pas loin. Déjà présent l’an dernier au JazzMix avec l’Electric Epic, Perret assène une musique nourrie de tous les apports possibles et sèche comme un coup de trique, ce qui fait sa redoutable vivacité. Il faut le suivre pas à pas, de peur de louper un épisode essentiel. En tout cas ça bouscule tout ce que l’on a pu entendre jusqu’ici. Trame forte, instruments au paroxysme dans une projection musicale sans la moindre défaillance, le moindre renoncement. Au final, sans doute un des concerts les plus inventifs du festival.

Guillaume Perret © Chr. Charpenel

07/07. Naguère, à Jazz à Vienne, les soirées dominicales ne ressemblaient pas aux autres. D’abord parce que tout débutait, à la Cathédrale Saint-Maurice, par une messe à laquelle l’artiste à l’affiche sur la grande scène était invité à participer haut et fort. Ensuite parce qu’à partir de 19h30 le programme on avait droit à du chant, gospel ou non, et pour finir à la projection, au théâtre antique, d’un film illustrant tel ou tel aspect des musiques improvisées américaines. Enfin, et le détail a son importance, c’était gratuit. On y voyait donc un public souvent familial et viennois profiter de cette parenthèse qui finissait tôt, ne faisait pas toujours le plein, mais offrait une ambiance étonnante. Aujourd’hui, le moment religieux est toujours là, le gospel reste le thème dominant, mais la gratuité a disparu en même temps que le film de fin de soirée. Partie remise peut-être…

Reste que pour cette 33è édition, Jazz à Vienne n’a pas dérogé à cette règle du chant, d’inspiration religieuse ou mystique - avec toutefois quelques invités inattendus, dont Don Byron himself. L’un des musiciens les plus inventifs de la scène new-yorkaise qui, un album après l’autre, explore des pans entiers de la musique, qu’elle soit jazz, gospel, free ou pas si classique. Une approche inédite que l’on peut suivre à travers quelques albums déjà cultes où se révèle toute son originalité. Une des raisons de sa présence à Jazz à Vienne était son implication récente dans le gospel. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Don Byron s’y est en effet plongé au point de lui consacrer un album. Là encore, espièglerie rime avec inventivité et il adopte en quelque sorte une attitude d’explorateur soucieux de rendre à un courant ses lettres de noblesse. Pour la circonstance, il s’était adjoint les services de Sangoma Everett, immuable, d’Emil Spanyl (p), (Brad Jones) (b) et surtout, pour une rapide apparition, de (La Velle), associée il y a quelques mois à Love, Peace and Soul, l’album en question. Belle voix, pleine de conviction, se jouant des instruments ou jouant avec. A leurs côtés (ou plutôt derrière eux), la chorale Entre ciel et terre, originaire de Tarare, près de Lyon, malheureusement plus connue pour les difficultés de son industrie textile que pour être un creuset du gospel européen. Pourtant, cet ensemble homogène et puissant s’est associé de belle manière au set de Don Byron, apportant plénitude et conviction à la musique jouée ce soir-là.

Vient le tour du Los Angeles Crenshaw Gospel Choir, un ensemble de trente choristes tout de jaune et bleu vêtu, réagissant au doigt et à l’oeil d’Iris Stevenson qui, au clavier, sait subjuguer le public et pousser les artistes à donner le meilleur d’eux-mêmes, chant ou danse. D’où un enthousiasme communicatif, qui rappelle d’ailleurs sur scène la chorale précédente pour un final sonore et joyeux. Tour à tour les Supremes, les Temptations, Chic et Nile Rodgers rejoueront les succès d’antan. Ça s’écoute, ça se chantonne, ça se danse, même s’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et la lune. Nile Rodgers, et sa douzaine de tubes a, en tout cas transformé le théâtre en un gigantesque dancing. Y a-t-il un des thèmes joués ce soir-là qui ne fasse pas partie de la mémoire musicale planétaire, même à trente ans de distance ? Ne cherchez pas : tout a, en son temps, été premier de la classe parmi les hits de l’époque. Autant de rengaines plus difficiles à écrire qu’à dénoncer, d’ailleurs : elles entrent par une oreille et ne ressortent jamais par l’autre. Une industrie, une volonté, mais avant tout un art. Celui de chanter, de faire chanter et danser et, in fine, de distraire, toujours et encore.

20h30, les Supremes, anciennes et nouvelles : Lynda Laurence et Scherrie Payne bon pied, bon œil, bon rimmel, paillettes à souhait, voix inoubliables. Vite, très vite (la cadence est une des clefs du show), elles entonnent les grands succès du groupe. Certes, on est très loin du jazz, et plus près de cet entertainment ravageur qui pollue aujourd’hui toutes les musiques, mais pour finir, on se dit qu’il n’y a pas grand mal à distiller ces musiques sans prétention qui font danser le théâtre antique, lequel n’est pas venu pour autre chose. Les Supremes ? Sourire Gibbs, seins galbés, silhouettes graciles, elles font très fort, avançant en terrain conquis, séduit. Du début à la fin, elles tiennent la scène, dansent, provoquent, embarquent le théâtre dans ce qui n’est pas encore du revival. Comme si les 7 000 personnes qui ont fait le déplacement n’attendaient que d’être bercées par les ritournelles de leur jeunesse.

Même sensation avec le plateau suivant. The Temptations sont leur propre caricature et en jouent tout au long du show. D’abord quelques pas de danse, histoire de savourer le scintillement des costumes qui renvoie très sûrement la Voie lactée au monde des ténèbres. Tout est en place, rodé, réglé, peaufiné, premier tube déjà dans les oreilles. Daigne alors apparaître le clou de la soirée, Dennis Edwards en personne qui, brillantissime, coupe impec, bijouté à l’extrême, engage avec le théâtre une sorte de contre la montre via un show millimétré. C’est parti pour 90 mn de retour à un passé vivant, virevoltant. Les cinq musiciens, costumes de maréchaux latino immaculés, miment tour à tour tous les tubes, effaçant les ans, les rides, les modes qui passent. A chacun sa ritournelle. Les autres se mettent au diapason, à son service. Ce n’est pas toujours très abouti mais le but est atteint et le public conquis.

De quoi permettre au vieux routier, Nile Rodgers, de le pousser un peu plus vers l’incandescence. Ame du funk, ce grand fabriquant de tubes devant l’éternel qui, en deux mesures, transforme le théâtre plein à ras bord en gigantesque piste de danse même si, enfin, on sent poindre un semblant de lassitude chez les spectateurs déjà mis à rude épreuve. Pour cette tournée, le guitariste/compositeur/musicman a bien fait les choses avec, là encore, un spectacle parfaitement en place, d’excellents musiciens dont Steven Jankowski à la trompette, William Holloman au sax, Milton Barnes à la basse et Ralph Rolle, tout fou, aux drums. Et surtout, à peine Niles entré en scène, deux vestales elles aussi vêtues de blanc, jambes fuselées et très hauts talons, qui ne vont cesser de transcrire par tout leur corps la musique du septet. Mais loin d’être de simples choristes soutenant le héros de la soirée, Folami Ankoanda-Thompson, tout en grâce, et Kimberly Davis-Jones, puissante voix soul, vont, au fil du show, faire pratiquement jeu égal avec lui, ce qui lui permet de se concentrer sur sa guitare.

Ce musicien universellement admiré et repris par les plus grands a une façon bien à lui de lancer le thème, de le soutenir, de le glisser au public qui s’en empare et le triture, avant de laisser ses (excellents) partenaires en donner leur propre version. Il a le don de régler en un seul accord le sort d’un morceau, souvent une de ses compositions - à peu près tous les tubes incontournables : « Everybody Dance » puis, tour à tour, « He’s the Greatest Dancer », « We Are Family », « Soup for One Lady », « Lost in Music », « Original Sin » avant d’atteindre avec « Spacer » le but recherché. On finit avec « Let’s Dance », « Le Freak », évidemment, et « Good Times », dans une ambiance bon enfant, avec spectateurs privilégiés invités sur scène et théâtre en quasi-lévitation. Bref, Niles Rodgers s’extirpe aisément de l’incontournable nostalgie qui guette ce genre de concerts ; et de fait, son disco funk n’a pas pris une ride. Grâce notamment à son jeu tout en finesse, sorte de dentelle rythmique qui, peu à peu, impose sa trame et son charme.

Reste une énigme : lors de leur entrée en scène, que transportaient donc les deux jeunes femmes dans leur petit panier d’osier, tenu du bout des doigts ?