Scènes

Claudia Solal Spoonbox/Studio de l’Ermitage

Alors que « Room Service » vient de paraître, Spoonbox, le quartet de Claudia Solal, se produisait le 5 mai 2010 au Studio de l’Ermitage, dans le XXème arrondissement de Paris.


Alors que Room Service vient de paraître, Spoonbox, le quartet de Claudia Solal, se produisait le 5 mai 2010 au Studio de l’Ermitage, dans le XXème arrondissement de Paris. Entièrement rédigé dans la langue de Shakespeare, le répertoire, choisi dans la poésie élizabéthaine et victorienne ou écrit par la chanteuse, est le reflet de son imaginaire : merveilleux, insolite, tentaculaire.. avec un brin de folie.

Si le concert commence comme le disque par « Salomé », l’un n’a rien à voir avec l’autre. Ici, le poème musicalisé
devient une musique poétique. Peut-être parce que la voix de Claudia Solal se fond davantage dans les instruments ? Quoiqu’il en soit l’impression est toute différente. Ciselées comme par un orfèvre, centrées autour de la voix de la chanteuse sur Room Service, ses compositions et celles de ses compagnons de longue date Benjamin Moussay et Jean-Charles Richard, apparaissent beaucoup plus plurivoques en concert. Le claviériste est « multitâche » : piano, Fender Rhodes, effets à l’ordinateur, boîtier pour remplacer la basse… Le saxophoniste change d’instrument comme de chemise, et le batteur Joe Quitzke, léger et indispensable, se fait remarquer lors de l’un des seuls chorus du concert par une improvisation quasi tribale, sans grosses ruptures rythmiques. Parmi tout cela, la voix se fraie un chemin sans s’imposer, se ménage une place à égalité, empreinte de douceur enfantine et d’un humour mordant, tout en ayant l’air de ne pas y toucher.

Claudia Solal © H. Collon

L’univers de Claudia Solal, diablement bien mené, est à la fois touchant et pétillant. On y entend du Björk (période Post, « It’s Oh So Quiet » - expression que l’on retrouve telle quelle dans l’un des morceaux), du Kurt Weill, de la chanson, du rock, on aperçoit même Tim Burton au détour d’un vers, sans que jamais sa singularité soit sacrifiée. De Shakespeare à Emily Dickinson, la langue anglaise est habitée avec amour. On comprend l’importance des textes pour la chanteuse dès les premières notes : l’effort d’intelligibilité est remarquable. Cette attention portée au texte confère une certaine théâtralité au concert ; on dirait par exemple que le monologue de Richard III ne peut être véritablement chanté, mais plutôt dit, voire soufflé. Impossible de tout saisir au vol ; néanmoins des images se dessinent : il s’agit de grands paysages merveilleux et colorés (les cymbales de Quitzke et le rhodes de Moussay n’y sont pas pour rien) peuplés de créatures imaginaires – la pochette de l’album montre d’ailleurs, sortant de la tête de Claudia, des tentacules où les oiseaux n’ont pas peur de se poser. C’est tantôt un conte, tantôt une lettre écrite depuis la « Room 46 » du « Double Rabbit », un hôtel bien étrange, mais toujours through the looking-glass. Ici, l’ « hésitation prolongée entre le son et le sens » du poète (Paul Valéry) n’a pas lieu d’être : les deux cohabitent admirablement.

En plus des morceaux du disque, le quartet Spoonbox, qui existe depuis cinq ans, se scinde pour laisser le duo Moussay/Solal jouer « Porridge Days », extrait de l’album éponyme. Ce morceau ne détonne pas du tout, preuve que cet univers appartient à tous et non à la seule chanteuse, même si elle en est l’initiatrice. Ni free comme avec la Banquise de Françoise Toullec, ni constamment dans les suraigus comme chez Yves Rousseau (« Poète, vos papiers ! »), Claudia Solal prend le pari de la mélodie. Sa voix, de l’aigu au souffle grave, porte les couleurs aériennes de son allure, bleu, jaune et violet. Elle s’envole parfois vers les oiseaux, imitant leur pépiement capricieux, puis descend vers l’improvisation vocale brute pour redécoller aussitôt, et nous avec. Ces improvisations réservées à la scène s’insèrent tout naturellement dans le fil du thème, sans que « l’effet groupe » en pâtisse. Pas de solo obligé, pas de thème-chorus à la queue-leu-leu, voilà qui est bien agréable.

Le concert se termine avec « Room Service », touche de féérie joyeuse et entraînante qui flirte avec le rock, puis un rappel réclamé à grands cris. C’est la fin du voyage. Chacun repart avec ses propres images en tête et s’endort avec les refrains entêtants, presque sorciers de Claudia Solal. Indeed, she’s « a very lucky girl, [she] can invent things. » (« Jellybird Pie »).