Scènes

« Les Nuits et les Jours de Querbes », 7 - 9 août 2009… et octobre

Pour « Les Nuits et Les Jours de Querbes », la musique n’est pas un art décoratif. La littérature non plus.


Pour « Les Nuits et Les Jours de Querbes », la musique n’est pas un art décoratif. La littérature non plus.

Le festival d’été 2009 a choisi pour thème les Antilles. Et voyez comme ils sont, ceux de Querbes : pas l’ombre d’un madras, pas trace de collier chou, pas de doudou aguicheuse, pas de zouk non plus. Au lieu de cela, les racines et les prolongements d’une colère encore chaude, quarante jours et quarante nuits de grève, déluge libérateur en pleine saison sèche. Quatre écrivains en chair et en os : Daniel Maximin, Gisèle Pineau, Ernest Pépin et Margot D. Marguerite, et d’autres en papier, par voix interposées : Glissant, Chamoiseau, Césaire, Tirolien…

Les Nuits et les Jours de Querbes, faut-il vous le rappeler, sont un festival pas comme les autres. Non que les autres soient tous semblables, mais celui-ci n’est pas comme eux, voilà. D’abord, Querbes est un endroit impossible. Un hameau minuscule planté sur le bord d’un plateau, surplombant les franges de châtaigniers qui descendent vers la vallée du Lot. Dans la cour d’une maison, deux cents allumés venus d’à côté ou de très loin. Cela lit des livres qu’on ne trouve pas au centre commercial, écoute de la musique qu’on ne voit pas à la télé, côtoie des danseurs sans tutu ni paillettes. Ça mange aux mêmes tables, ça participe à des débats, ça discute le coup entre les concerts… et ça étend ses tentacules jusqu’aux (petites) villes voisines, annexant Decazeville, Capdenac et Figeac comme autant de banlieues d’Asprières (707 habitants au dernier recensement).

Alain Jean-Marie © Michel Laborde 2002

Itinéraire subjectif et approximativement chronologique.

Figeac, place de la Lecture.

Les lecteurs – François Cancelli, Jean-Luc Debattice et Henri Robert - disent les œuvres des auteurs invités, et Mambo Bidon, un steel band à la jamaïcaine venu droit de Toulouse, joue sous abri – la pluie menace – avant de poursuivre la soirée sous les ogives de la belle salle Balène avec la complicité d’Agnès Pancrassin et Julie Barbier, danseuses de la Compagnie 1er Mars dont les corps mêlés au sable parlent d’îles qui se rencontrent.

Samedi matin, Decazeville, ancienne mine de la Découverte.

La Découverte ? Celle des Amériques, peut-être. Sur l’estrade dressée au pied du chevalement de mine, vestige de l’exploitation charbonnière abandonnée, trois lecteurs, les textes volcaniques de Césaire, Roumain, Damas, Tirolien ; les thèmes caribéens de Mambo Bidon. Collage hardi d’un verbe intense et d’une musique capiteuse dans le paysage rude de la gigantesque mine à ciel ouvert, désaffectée depuis moins de dix ans, juste en bordure de la ville.

Querbes, sanctus sanctorum.

L’inauguration, comme il se doit, donne la parole à l’ONQ !
Orchestre National de Querbes ! (le point d’exclamation fait partie du nom), formation régulière du festival, composée d’amateurs de tous âges, entraînée par Laurent Guitton, chef d’orchestre, tubiste notable et Eric Boccalini, batteur-percussionniste (tous deux membres, notamment, du Didier Labbé quintet). Musique de rues, entre banda et fanfare jazz.

Dans la grange, le duo Connivences unit Daniel Maximin et Alain Jean-Marie - dont nous allons cesser de rabâcher qu’il est notre plus grand pianiste méconnu pour parler plutôt de ce qu’il joue : un piano sensible et coloré, nourri d’Ellington, de Monk et de mazurka créole, irrigué par les harmonies d’Abdullah Ibrahim et les montunos du jazz afro-cubain. Une petite chauve-souris intriguée décrit des allers-retours sous la charpente. Au début, les mots et la musique alternent, puis ils se rejoignent, Maximin dit « Monk » et c’est “Misterioso” ; « Miles », et “All Blues” déboule ; « Coltrane », et voici la basse de “A Love Supreme”. Tous deux disent la Guadeloupe, sa terre et son peuple, un rien trop vite toutefois - en ce qui concerne le récitant - pour que l’auditeur puisse se laisser emporter par les mots autant que par les notes.

Steve Potts © D. Gastellu 2009

Capdenac-Gare, dimanche matin.

L’Intraitable beauté du monde est un brûlot poético-politique lancé à la face du monde par Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau. Jean-Luc Debattice et François Cancelli, chacun à un angle de la halle, et Steve Potts, au centre, l’incarnent : deux voix, un saxophoniste. Devant ce dernier, un pupitre : en guise de partition, le manifeste. Souligné, surligné, annoté. Steve Potts improvise à l’alto et au soprano entre les fragments dits par les récitants. Descendu de son estrade, il se mêle à l’assistance, sax aux lèvres ; Potts joue les harmoniques du texte, ce qui bat entre les signes, et nous le rend mieux qu’intelligible : sensible, au point d’en avoir le frisson.
Un orage tropical s’abat sur la halle sur le coup de midi. Tant pis pour la traversée du Lot, on pique-nique sur place avec un ONQ ! très en forme, bientôt rejoint par Steve Potts au soprano pour une jam impromptue.

Retour à la case Querbes et final.

Après le débat, dîner sous les lampions puis un agréable concert de David Fackeure - pianiste métropolitain qui s’est pris de passion pour la musique antillaise et ses détours par le jazz -, entouré de Thierry Fanfant (basse), Xavier Richardeau (sax) et David Gore (batterie). Fackeure prend à son compte les mélodies simples et directes, les harmonies et la rythmique subtilement déhanchées des biguines et des mazurkas et les restitue avec sincérité, sans exotisme de pacotille, à travers un répertoire de classiques et de compositions personnelles.

Puis, parce qu’il faut bien que tout se termine pour pouvoir recommencer l’an prochain, le batteur jamaïcain Noel McGhie fermait la marche avec son trio (Mimi Lorenzini, guitare et Jean-Luc Ponthieux, contrebasse) rejoint par Steve Potts pour un répertoire de classiques jazz relus d’un œil caribéen, avec une chaleur et un sens de la fête qui s’accordent bien au lieu.

Les « Nuits et Les Jours de Querbes » sont une mosaïque d’arts plantée dans un environnement insolite, mélange de ruralité et de rudesse ouvrière. Quelques semaines plus tard, ce qu’il vous en reste, ce sont des émotions : la colère sourde et la fierté avec le trio Cancelli-Potts-Debattice le dimanche, le rire avec les passages de Gisèle Pineau lus dans l’étable, la nostalgie du duo Connivences, la lucidité d’Ernest Pépin, la jubilation du dernier concert. Et tous ces imprévus qui font la personnalité du festival : l’entrée de Steve Potts dans la musique de l’ONQ ! sur “African Marketplace”, le pique-nique improvisé sous la halle de Capdenac cernée par une pluie battante, et surtout, pendant un débat dans l’étable, quelques lambeaux de Nocturne de Chopin – un jeune spectateur attiré par le Steinway qu’on venait d’accorder dans la grange – et juste après, le concert des canards mis en joie par une nouvelle averse. Cela, vous ne le trouverez pas ailleurs. C’est à Querbes.

par Diane Gastellu // Publié le 7 décembre 2009
P.-S. :
  • Les « Nuits et les Jours de Querbes », c’est aussi hors saison : Le 31 octobre 2009, au coin du cantou (la grande cheminée des fermes occitanes), le romancier Salim Bachi, le comédien Ali Guentas et Jean-Marc Padovani se retrouvaient devant une assistance nourrie (doublement, puisque le prix d’entrée inclut un repas paysan préparé à la maison) et comblée.
  • Après Salim Bachi le 31 octobre 2009, c’est au tour de l’écrivain et historien Bernard Chambaz d’être l’invité de la prochaine Rencontre au coin du cantou, organisée par les « Nuits & les Jours de Querbes », le 30 janvier 2010, à partir de 19h30, en compagnie du duo Agafia (Laurent Paris, saxophones et Marc Maffiolo, batterie)
    Né en 1949, agrégé de lettres et d’histoire, enseignant dans un lycée parisien, Bernard Chambaz est le fils d’enseignants et militants du Parti communiste. Son père, Jacques Chambaz, fut membre du Bureau politique. C’est donc de l’intérieur, avec la tendresse et l’ironie qui caractérise son écriture, avec aussi toute la réserve et la critique que les discours tout fait suscitent en lui, que Bernard Chambaz nous fait partager cette histoire et nous permet de mieux comprendre le parcours de ces femmes et de ces hommes qui croyaient en un avenir radieux.
    Bernard Chambaz est aussi un passionné de voyages et de bicyclette. De ses errances en Extrême-Orient, de ses Tours de France ou Giro d’Italia, il rapporte des textes pleins de poésie et de tendresse humaine.
    Bernard Chambaz a publié 9 romans, au Seuil ou chez Panama, des ouvrages pour la jeunesse, des récits, mais aussi des études historiques (comme l’histoire du journal l’Humanité).