Andy Emler MegaOctet
West in Peace
Médéric Collignon (bugle, saxhorn alto, voc), Laurent Dehors (ts, bcl, cornemuse), Guillaume Orti (as, contre ténor), Thomas De Pourquery (as), François Thuillier (saxhorn basse, tuba basse), Claude Tchamitchian (b), Eric Echampard (dm), François Verly (perc), Andy Emler (p, lead, composition)
Label / Distribution : Nocturne
A travers West in Peace, Andy Emler propose une oeuvre dans la lignée du précédent MegaOctet, Dreams in Tune [1] mais qui présente une parenté certaine avec À quelle distance sommes nous ?, trio atmosphérique composé de la section rythmique déjà éternelle, Eric Echampard et Claude Tchamitchian. Il s’agit dans les deux cas du style Emler qui, en exagérant un peu, est au style Antoine Hervé, ce que la musique de Debussy est à celle Ravel (ou vice versa). (On peut passer rapidement sur cette relative proximité formelle entre les derniers opus de ces deux anciens camarades de conservatoire. Comme dans Road Movies, on peut entendre une cornemuse, instrument suffisamment rare dans le jazz pour mériter un recensement exhaustif. Et dans son livret, Andy Emler décortique lui aussi chaque morceau - mais sans que cela s’apparente à un rideau levé sur un processus créatif artificiel : la musique reste magique, avant et après dévoilement de quelques recettes.)
Malgré sa marque de fabrique, West in Peace ne doit pas être envisagé comme une redite du précédent album. Un changement dans la continuité peut-être, mais en aucun cas une force tranquille. Car les cinq suites du disque (si l’on écarte le court et burlesque « Hugs ») font la part belle à l’énergie, aux contrastes, et surtout à quelques solistes exceptionnels.
François Thuillier et son tuba deviennent multiphoniques sur « Les ions sauvages » et se retrouvent seuls en piste après un break virtuose que n’aurait pas renié Frank Zappa. Beau mélange d’expressivité et de technique dignes du regretté tromboniste A. Mangelsdorff ! Médéric Collignon se fait plus discret que de coutume, avec néanmoins une improvisation sobre et classique au bugle sur « Les 9 cents lunes » et termine le disque dans une apothéose vocale.
Les trois saxophonistes atteignent de véritables sommets. Sur « Final et Postlude » Laurent Dehors livre un modèle de solo de ténor déchiré sans que cela n’évoque plus que de raison les noms de David Murray ou Pharoah Sanders. Un style personnel, encore une fois.
Enfin, les héros du disque sont peut-être les deux altistes, hérauts d’Emler. Guillaume Orti nous révèle brutalement que si tout est calme à l’ouest, il n’en est peut-être pas de même dans d’autres parties du monde où les cris des populations font écho à ceux des missiles (troublants hurlements vocaux et d’alto mêlés sur « West in Peace »). Thomas de Pourquery, lui, prend le temps d’occuper tout l’espace sonore et de figurer quelques contrées imaginaires, orientales, comme le suggère l’accompagnement de François Verly. « The Last Suit » s’apparente moins à un cri qu’à une longue divagation, une surprise permanente, avec des grappes de notes étranges façon Archie Shepp [2], et des phrases du monde du rock ou de la fanfare. Tourbillons d’un oued en paix et furies de ses crues.
Avec West in Peace, le MegaOctet n’a jamais autant ressemblé à une entité octocéphale empreinte d’une identité emlerienne forte. Et si l’on appréciera l’influence plus grande du rock progressif dans la rythmique ou l’architecture harmonique, l’énergie résultante et la verve des solistes, on pourra formuler un léger regret : que cette machine infernale et parfois inquiétante ne se confronte pas à un autre univers, comme elle l’avait fait avec celui de Marc Ducret sur Dreams in Tune.