Chronique

Atlantico

New Easter Island

Dave Schroeder (ss, fl, harm, picc, Mongolia ever büree, comp), Sébastien Paindestre (p), Martin Wind (b), Billy Drummond (dms) + Janis Siegel (voc), Billy Drewes (ss).

Label / Distribution : La FabricaSon / Socadisc

Après un premier rendez-vous nommé En rouge en 2015, le quartet Atlantico hisse cette fois d’autres couleurs, celles d’une nouvelle Île de Pâques. New Easter Island est en effet le titre du deuxième disque de cette formation franco-américaine née de l’amitié entre Dave Schroeder et Sébastien Paindestre. Le premier est établi à New York où il enseigne et dirige le département jazz de la NYU Steinhardt ; le second est parisien, évoluant au sein de différentes formations parmi lesquelles un trio dont nous avions souligné les qualités de l’album Paris, ainsi qu’un projet dédié à la musique du groupe Radiohead, l’Amnesiac Quartet. L’idée d’Atlantico est venue de l’Américain qui a proposé au Français de mettre sur pied un groupe et l’a invité à enregistrer à Manhattan. Les deux leaders, qui se partagent le travail de composition, ont fait appel à deux autres enseignants de la NYU : Martin Wind, contrebassiste ayant notamment travaillé avec Philip Catherine et Billy Drummond, batteur qui s’est entre autres expériences notoires illustré au sein des Lost Chords de Carla Bley.

Joe Lovano avait « parrainé » Atlantico en signant les liner notes du premier disque ; cette fois, c’est un autre grand qui s’y colle en la personne de David Liebman : « L’ambiance générale de cet album est détendue et c’est un plaisir d’écoute, en particulier l’interaction de haut niveau entre Dave, Sébastien, Martin et Billy, et des moments passionnants et intenses. Tout le groupe joue avec facilité et un engagement évident ». On peut trouver pire comme soutien…

Enregistré en deux jours à New York au mois de juillet 2017, New Easter Island est – acceptons d’énoncer ce qui relève de l’évidence – un disque de pur plaisir. On ne saurait douter de celui des musiciens qui trouvent là une bonne occasion de tendre une fois encore un fil entre les deux rivages de l’Atlantique et de marier ainsi leurs influences respectives, pour déclarer leur amour partagé envers ce jazz aux tonalités multiples autour duquel ils sont réunis. Et pour nous tous, ce qui frappe avant tout à l’écoute de New Easter Island, c’est la fluidité du propos et le soin apporté au travail de composition qui jamais ne s’écarte du chemin de la vibration ni d’une pulsation gracieuse délivrée par une paire Wind-Drummond irréprochable. L’ensemble baigne dans une lumière irisée, aux nuances parfois romantiques, nostalgiques ou élégiaques (ainsi la composition-titre qui bénéficie du concours de la chanteuse Janis Siegel, membre fondateur du groupe Manhattan Transfer) mais toujours en prise avec l’énergie du jazz. Une belle santé exposée d’emblée avec « The House That John Built » sur lequel s’illustre au saxophone soprano Billy Drewes, deuxième invité du quartet sur ce disque.

Dave Schroeder endosse une fois encore le rôle du multi-instrumentiste : saxophone soprano, flûte basse, piccolo ou encore « ever büree », un instrument mongol de la famille des clarinettes courbes, dont le nom signifie « corne-trompette », sa sonorité et sa tessiture étant celles d’une clarinette de basset. On le retrouve aussi à trois reprises (« Merg With Virg », « Le Jour du vin et de la pivoine » - les amoureux du jazz comprendront le titre comme un clin d’œil – et « Pont Neuf ») à l’harmonica chromatique, tirant l’ensemble vers une atmosphère joliment surannée qui renvoie à l’univers de Toots Thielemans. Cette variété des formules sonores compte pour beaucoup dans le cheminement de l’auditeur tout au long de New Easter Island, le quartet invitant chacun d’entre nous à une balade d’une réelle fraîcheur d’âme. Sébastien Paindestre, de son côté, semble dans un état d’apesanteur, son jeu s’épanouit et touche en plein cœur (le très solaire « Métamorphose » ou le poignant « L’âme du temps » en duo piano - saxophone soprano). Le pianiste vient rappeler que son jazz est non seulement traversé par toute l’histoire de cette musique, mais qu’il puise aussi aux sources du néoromantisme du début du XXe siècle.

Si Atlantico ne renverse pas la table du jazz dans la mesure où sa démarche est respectueuse d’un certain classicisme de la forme, il pousse avec New Easter Island une porte ouvrant sur un paysage musical qui, petit à petit, fait entendre sa singularité délicate. En d’autres termes, un peu de douceur dans ce monde de brutes…