Amnesiac Quartet
Tribute To Radiohead Vol. 3
Clotilde Rullaud (voc, fl), Sébastien Paindestre (p, Rhodes, Moog, arr), Bruno Schorp (b), Antoine Paganotti (dms) + Jean-Philippe Rykiel (kb), Bernard Paganotti (elb), Patrick Gauthier (kb), Fabrice Theuillon (ts), Nicolas Prost (sax).
Label / Distribution : La FabricaSon / Socadisc
Les aventures de Sébastien Paindestre au pays de Radiohead, le retour ! Après deux volumes de Tribute en 2007 et 2013, le pianiste remet sur le métier son ouvrage Amnesiac Quartet consacré à la musique de Thom Yorke et sa bande avec Tribute To Radiohead Vol. 3. Cette admiration pour le groupe britannique, partagée par de nombreux musiciens de jazz, peut interroger. Qu’a donc cette musique de si particulier ? Laissons l’intéressé l’expliquer lui-même : « C’est d’abord la complexité de la forme des compositions de Radiohead : il y a beaucoup de mesures dites composées, et c’est un défi pour un musicien de s’y exprimer, sans se perdre. Le contexte harmonique est aussi intéressant avec l’apport de Jonny Greenwood qui mêle plusieurs esthétiques, du rock à la musique répétitive de Steve Reich. Enfin, ce qui me semble intéressant, c’est l’orchestration et l’apport des claviers analogiques, qui sont très présents dans leurs albums depuis Kid A. Ces instruments électroniques sont revenus en force dans le jazz depuis une quinzaine d’années ». Dont acte. Pour ce nouveau rendez-vous, Sébastien Paindestre a rebattu les cartes de son groupe et en a sensiblement modifié la formule. On note l’arrivée du toujours juste Bruno Schorp à la contrebasse aux côtés du fidèle Antoine Paganotti (qui est de l’aventure depuis le début) à la batterie. Surtout, et ceci pour la première fois, la voix fait son apparition dans l’Amnesiac Quartet avec Clotilde Rullaud, dont on sait les immenses qualités, ne serait-ce qu’à travers l’expérience Madeleine & Salomon aux côtés d’Alexandre Saada [1]. Pour la chanteuse, s’approprier les chansons de Radiohead ne fut d’ailleurs pas si simple : « J’ai vraiment dû rentrer dans la musique de Radiohead que je connaissais, mais pas si bien que ça, en réalité. J’ai dû vraiment rentrer dedans pour les besoins du projet de Sébastien Paindestre qui m’a invitée sur ce projet. Je suis un peu tombée des nues du fait du côté minimaliste de cette musique. Elle n’est pas si chargée que ça, notamment dans la partie vocale, c’est d’ailleurs ce qui rend l’exercice assez difficile parce que ce sont des phrases qui tombent à un moment précis. Et puis il y a beaucoup de silence. Il y avait pour moi un gros travail d’appropriation. ». Cerise sur le gâteau, Sébastien Paindestre convoque quelques invités prestigieux : Bernard Paganotti à la basse, Jean-Philippe Rykiel et Patrick Gauthier aux claviers, trois musiciens largement impliqués dans la musique progressive française [2]. Retour aussi, le temps d’un titre, de Fabrice Theuillon (membre originel de l’Amnesiac Quartet) au saxophone. Présence enfin d’un autre ami proche, Nicolas Prost qui forme à lui seul un quatuor de saxophones sur l’une des compositions de l’album.
Il est évident que ce nouveau volume est sans doute le plus réussi des trois. Maturité de la forme et cohérence d’ensemble, maîtrise des rythmes complexes, belle définition des couleurs sonores (les claviers sont en fête), enthousiasme collectif et interventions solistes joyeuses caractérisent ce Tribute To Radiohead Vol. 3. Et surtout, il faut souligner la présence vocale de Clotilde Rullaud, impressionnante. La chanteuse (mais aussi flûtiste) semble littéralement habiter chaque mot et s’approprier le climat si particulier de la musique de Radiohead sans jamais verser dans l’imitation. Au risque de sembler provocateur, on ira même jusqu’à penser qu’il n’est pas indispensable de connaître la musique du groupe sur le bout des doigts pour apprécier la performance de cet Amnesiac Quartet parfaitement équilibré et qui existe bien en tant que tel. On est à des années-lumière d’un « Tribute Band », contrairement à ce que le titre du disque pourrait laisser supposer. Ce troisième volume est un bel exemple de re-création.
Laissons pour finir la parole à Sébastien Paindestre au sujet des courtes transitions qui relient les compositions de Radiohead tout au long de l’album. Elles ne sont pas là par hasard, tant s’en faut : « Ces transitions sont des extraits de pièces d’électroacoustique du compositeur Jacques Lejeune qui était membre du GRM. C’est mon beau-père et j’ai été son assistant pendant plusieurs années. C’est une manière de lui rendre hommage dans cet album, en plus de celui que je rends à Radiohead. C’est aussi un clin d’œil tourné vers Jonny Greenwood et Thom Yorke qui sont de fins connaisseurs de la musique concrète. Thom Yorke partage de temps en temps des playlists avec des titres des compositeurs du Groupe de Recherche Musicale. J’ai également échangé en 2013 avec Jonny Greenwood sur Twitter, où il m’avait remercié de lui avoir fait connaître une pièce de mon beau-père qu’il aimait beaucoup. À l’heure où l’on pioche la musique sur des plateformes de streaming hors du contexte de l’album, j’ai pensé ce disque, avec ces courtes transitions, comme un album qui s’écoute d’une traite, comme un passage initiatique à chaque transition. Nous ne sommes nous-mêmes que de passage dans ce monde, et pour moi la musique est une ouverture vers la temporalité, un marquage du temps. La musique mène toujours vers quelque chose de plus grand que soi ». Que dire de plus ? Musique !