Chronique

Baars - Kneer - Elgart

thrīe thrēo drī

Ab Baars (ts, cl, shakuhachi), Meinrad Kneer (b), Bill Elgart (dms)

Label / Distribution : Evil Rabbit

Ab Baars est de ces musiciens qui savent nous conduire immédiatement à une forme d’urgence. De la stridence à un certain amour des profondeurs, le saxophoniste ténor, qui aime utiliser comme ici la clarinette ou le shakuhachi, a une palette très large pour faire passer des émotions et pour se déplacer sur un fil ténu, toujours en équilibre. C’est ainsi le cas sur « A Day Like Any Other » où il s’égaille sur une ligne sinueuse et dure dessinée par le contrebassiste Meinrad Kneer. On le sait, Baars aime la tradition et les hommages - on se souvient de son travail sur Roswell Rudd mais aussi autour de la musique d’Ellington - mais son talent d’improvisateur, qu’il a éprouvé avec Alexandra Grimal comme avec Zlatko Kaučič, Terrie Ex ou Ken Vandermark, est sans doute le plus saillant. « All Other Forms of Matter and Energy », où l’archet de la contrebasse permet à Baars de se faire moins pressant, laissant la place aux peaux de Bill Egart, est une véritable ouverture de tous les possibles ; le trio pourrait chercher la puissance, ils préfèrent chercher l’espace, la spatialisation du son qui se génère dans la lente poursuite entre le saxophone traînant et les constructions de Kneer.

Ce n’est pas la première collaboration du Batave avec l’Allemand et l’Américain. En 2013, Give No Quarter fut leur premier disque, avant un Live at Konfrontationen Nickelsdorff 2012, en 2018, qui témoignait déjà d’une forte complicité. La relation avec Kneer peut être assez tendue, elle est en tout cas la tangente d’un album enregistré cette fois-ci en studio, toujours sur le label Evil Rabbit. Dans ce triangle très isocèle, la place d’Elgart est quelque peu différente : c’est l’électron libre, l’artisan en liberté, ce qui lui permet d’offrir sa palette la plus coloriste, la plus attentive aussi. C’est finalement assez logique : d’abord simple invité d’un duo créé en 2010, Elgart a su s’imposer comme interlocuteur durable. Sur « Alternative Experimental Assembly X », alors que Baars est au shakuhachi, c’est d’une simple frappe qu’il borne un chemin qu’il va peu à peu illuminer en parfait percussionniste.

Enregisté à Berlin en début d’année 2021, thrīe thrēo drī est la célébration d’un trio très intime qui célèbre une liberté chèrement acquise. Meinrad Kneer en est le parfait régulateur, notamment lorsque dans « High Rider », Baars se saisit de sa clarinette. Véritable histoire d’amitié, cet album est aussi la confirmation que les scènes hollandaise et allemande sont prolifiques et dans l’interaction permanente. Un bel exemple de liberté dans l’improvisation européenne.