Chronique

Balinaises Chahutations

Kabar campuran

Hélène Marseille, Rémi Allaigre, Eléonore Guillemaud, William Pawelzik, Marie Frier, Slim Mesbah, Bertrand Boulanger (gamelan), Yannis Frier (g., fretless g.), Vincent Copier (g. baryton), Arnaud Jarsaillon (g. préparée, theremin), Stéphan Gueydan (cb), Fred Galland (d), Nathalie Goutailler (cornet), Anne Montagard (cl), Lionel Malric (elec, kb). Le Grand Chahut Collectif

Label / Distribution : Auto Productions

« Musique asie-mutée pour petit gamelan et orchestre électrifié ». C’est le sous-titre. On vous aura prévenus.

Quand le Grand Chahut se mêle de faire de la musique avec un gamelan, il n’invite pas bien gentiment l’ensemble au grand complet, non : il vire les instrumentistes. Pris d’assaut par la bande d’allumés que l’on sait (pour peu qu’on les ait déjà croisés du côté de Crest, leur port d’attache, ou ailleurs), le multi-instrument indonésien se voit précipité dans un monde bien éloigné de son Ramayana familier. Encore que.

Les compositions d’Hélène Marseille et Vincent Copier s’apparentent aux traditionnels balinais par la structure cyclique et, bien évidemment, le caractère collectif de l’écriture musicale. Comme là-bas, chacun des musiciens tient une partie réduite à quelques notes. C’est l’enchevêtrement des motifs individuels qui produit un univers sonore en mouvement, une totalité musicale foisonnante.

Cela étant, le Grand Chahut n’entend pas singer la musique balinaise. S’il annexe le gamelan, c’est parce qu’il convient à merveille à son tempérament collectiviste et à son goût pour la profusion. La théâtralité de cet ensemble de gongs, cloches et métalophones porte, encadre, met en scène le discours des autres instruments qui ne font pas non plus dans le conventionnel : guitare baryton, guitare fretless jouée à l’archet, thérémin… et quelques plus classiques tout de même : cuivres, anches, batterie.

La marque de fabrique du Grand Chahut en matière musicale, c’est d’abord une vitalité à l’épreuve des balles et un esprit jouissif et facétieux. Ensuite, le jeu sur le nombre, la multiplicité des sources sonores, et une esthétique entre fanfare et big band déjanté qui carbure avant tout au groove. Le léger décalage rythmique entre instruments, les mouvements de vagues qui animent des compositions découpées en courtes séquences qui s’intercalent, s’arrêtent net, repartent de plus belle, la répétition des motifs mélodiques, des basses lancinantes, tout cela fabrique une transe qui vous prend dès la troisième minute de « Dewalgue » et ne vous lâche plus.

Ajoutez à cela la collision baroque des timbres métalliques du gamelan et des ondes étranges du thérémin, des riffs de guitare saturée (« Dewalgue »), des atmosphères bruitistes (« Rouli Roula »), un petit bout de clarinette bucolique, un cornet sarcastique, le chant des grenouilles-taureau dans les rizières à la fin de « Marche » et de « La Java des grenouilles », un ostinato lancinant à la Patti Smith (« Wock »), des breaks façon Spike Jones, et vous tenez une musique qui ne ressemble à aucune autre et vous laisse à chaque écoute un goût de revenez-y.

Bien sûr, on aurait pu rêver un enregistrement plus produit, un meilleur mastering. Un son plus homogène. L’album est autoproduit et sent l’artisanat, c’est entendu. Mais la cuisine est bonne, et on a très envie d’aller la goûter en live.