Chronique

Ben Sidran

Ben there, done that

Ben Sidran (p, voc), Leo Sidran (dm), Bob Malach (ts), Billy Peterson (b)

Label / Distribution : Sunset Blvd

Nanti d’un CV à faire pâlir plus d’un prétendant chroniqueur jazz, ou même plus d’un pianiste et chanteur (il est aussi compositeur, musicologue, journaliste, producteur de radio et de télévision), Ben Sidran offre ici un triple CD en forme de rétrospective de quarante ans de concerts autour du monde. Certes, les esthétiques ont fluctué et les trois disques, mélangeant allégrement les époques, relèvent de différents styles : le premier est orienté plutôt « groove » avec de gourmandes incursions boogie-woogie, le second est consacré à ses explorations bebop, et le troisième rappelle son côté pop assumé. Il n’empêche que la cohérence du tout est garantie par l’aspect « troubadour moderne » (dixit J. Siegal de Manhattan Transfer dans les notes d’un livret passionnant) du personnage, qui n’aime rien tant que de brouiller les pistes dans les classifications trop souvent dogmatiques du jazz.
Ainsi du traitement funky du standard bop, « Birk’s Work », à l’entame du premier disque, suivi d’un « The Groove is Gonna Get You » sulfureux : « Le groove vous fera vous sentir mieux pendant les jours sans argent que l’argent ne vous fera vous sentir bien pendant les jours sans groove » déclare-t-il.
Ou bien de l’incunable « On the Sunny Side of the Street », sur le troisième CD dont il restitue la dimension parodique voire politique par son ton narquois et un jeu au clavier plein d’humour. Il est même capable d’improviser des commentaires sociaux sur un standard trop peu interprété comme « Minority » de Gigi Gryce (agrémenté d’un fabuleux solo de saxophone de Phil Woods), ou d’évoquer dans son jeu pianistique plus de cinquante pianistes (de Walter Bishop à Wynton Kelly en passant par Art Tatum, sans oublier Marian McPartland) sur un « Piano Players » d’anthologie.
C’est sur le second CD que son art du jazz se révèle le plus sensible, notamment sur une plage enregistrée à Madrid en l’an 2000 (on sait son appétence pour l’Espagne, puisqu’il a consacré un album à la mémoire du poète Federico García Lorca). Accompagné par un gang de fidèles, dont son fils Leo Sidran, formidable batteur, et le saxophoniste Bob Malach (qui lui avait été recommandé par Michael Brecker), ainsi que le bassiste Billy Peterson, forment les piliers, il offre ainsi un aperçu de l’étendue de son talent.
On regrettera cependant l’absence d’extraits de son formidable « Live à FIP » qu’il avait enregistré en 2005 mais l’excellent travail de restitution sonore nous le fait vite oublier. Et surtout, le profond humanisme jazz de ce grand Monsieur, qui a ouvert une partie de ses archives pléthoriques pour notre plus grand plaisir, mérite d’être salué.

par Laurent Dussutour // Publié le 8 décembre 2019
P.-S. :

Personnel détaillé sur le livret