Chronique

Emmet Cohen

Vibe Provider

Emmet Cohen (p), Philip Norris (b), Kyle Poole (dm), Joe Farnsworth (dm), Tyvon Pennicott (ts), Bruce Harris (tp), Frank Lacy (tb), Cecily Petrarca (koshkah).

Label / Distribution : Mack Avenue Records

Adoubé par la jazzosphère depuis ses brûlantes sessions Youtube pendant la pandémie de Covid, le pianiste Emmet Cohen se révèle sur ce nouvel album comme un redoutable storyteller. Les cinq compositions originales proposées sont des pièces inspirées par la diversité new-yorkaise la plus authentiquement jazz. En véritable Harlémite, il nous convie à une balade urbaine le long des « Brown Houses », entre effluves de weed et saveurs de soul food. Les introductions prennent leur temps, les thèmes ont des airs d’hymnes, sonnant parfois comme une messe gospel en plein air, les improvisations sont autant de conversations marquées d’une forme de « street credibility » (formidable Tivon Pennicott au saxophone ténor et méchant Bruce Harris à la trompette notamment) et les codas recèlent bien des surprises.

Hard bop ? Certainement, et du meilleur. Les harmonies empruntent volontiers aux cadences innovantes des Jazz Messengers lorsqu’ils étaient codirigés par Horace Silver, alliant spiritualité et tentation dansante. Elles s’accordent parfaitement à un propos d’ensemble qui consiste à rendre hommage à Funmi Ononaiye, DJ surnommé « The Vibe Provider » et qui fut l’un des mentors de la scène new-yorkaise actuelle, mixant aussi bien au Lincoln Center qu’à l’occasion d’une block party et qui fut, selon le pianiste, le principal instigateur de ses home sessions sur le web. Les morceaux ont bien le caractère des mix labyrinthiques, sensés et sensuels que ce maître des platines se plaisait à jouer. Les solos du pianiste, gorgés d’un lyrisme soulful, empruntent volontiers ces parcours erratiques, avec un cap fourni par le stride - hommage en début d’album à Willie « The Lion » Smith oblige. Il met en avant sa judéité avec un touchant « Henei Ma Tov », hymne à l’amitié issu d’un psaume hébraïque, nimbé ici d’un swing pudique qui rappelle bien, si besoin était, que l’identité juive américaine est l’une des sources du jazz. Ses partenaires de jeu sur ce disque sont à l’avenant, notamment la rythmique, avec le formidable jeune contrebassiste Philip Norris et le batteur quasi « vétéran » Joe Farnsworth, plus que jamais gourmand d’échanges - le batteur « habituel », Kyle Poole, est ici plutôt présent comme producteur. Trois standards émaillent le disque, comme autant de pépites qu’aurait pu mixer le « vibe provider ». Emmet Cohen et ses musiciens, avec ce disque, jouent bel et bien un jazz nommé désir.