Chronique

Bill Frisell

Sign Of Life

Bill Frisell (g), Jenny Scheinman (v), Eyvind Kang (violon alto), Hank Roberts (cello)

Label / Distribution : Savoy Jazz/Orkhêstra

Il y a des expériences musicales singulièrement fertiles : celles qui inventent des métissages nouveaux et, en même temps, remontent aux racines les plus profondes et les plus authentiques. Sous des formes différentes, c’est ce que fait, résolument et depuis toujours, le guitariste Bill Frisell.

Une chance pour nous car aujourd’hui, ce Sign of Life est sans doute, dans cette perspective, son disque le plus abouti. Ces dix-sept pièces sont ancrées dans le blues, la country, le bluegrass, le jazz et une certaine tradition américaine, autant que dans la musique contemporaine. John Cage, Charles Ives, voire des compositeurs plus récents n’y seraient pas plus dépaysés que Woody Guthrie, Johnny Cash ou B.B. King.

Pourtant tous, peut-être, seraient perdus… Car pour ce voyage en terres connues et inconnues à la fois, Bill Frisell s’est entouré d’un trio à cordes conduit par le violoncelliste Hank Roberts, avec qui il a enregistré pour la première fois au milieu des années 80. Un parti pris orchestral qui fait référence à d’autres univers musicaux, classique ou romantique en particulier, et pourrait compliquer la chose. En réalité, il a pour effet de l’enrichir - par le mystère de l’alchimie musicale. En effet, la force, l’intelligence de cette œuvre – c’est-à-dire sa capacité à être entendue et comprise, donc reconnue, aimée – tiennent à ce que les emprunts, ou plutôt l’exploration des racines, ne tombent jamais dans la facilité ; rien ici qui cherche à séduire l’auditeur par des « effets » où il puisse se reconnaître et se retrouver. Au contraire, l’art de Frisell consiste à nous égarer.

Toutefois, ne nous y trompons pas : si l’on fait référence à d’autres musiques pour tenter de décrire Sign of Life, on passe à côté de l’essentiel ; car c’est un univers nouveau qui nous est proposé ici - un ensemble de paysages inexplorés où se mêlent les traditions du passé lointain (cf le romantisme du trio à cordes), l’histoire musicale du pays (country, blues…) et la contemporanéité la plus intense, celle qui s’invente dans l’instant. Comme si l’Amérique de William Richard Frisell restait une terre à découvrir. Nous sommes donc conviés ici dans un Nouveau Monde multiple et déroutant qu’il faut parcourir avec attention pour en découvrir et en apprécier les richesses : celles du passé, de toutes sortes d’héritages, mais plus encore celles du présent, celles qui annoncent un avenir, les avenirs possibles et les rêves impossibles.