Chronique

Bojan Zulfikarpasic

Solobsession

Bojan Zulfikarpasic (p).

Label / Distribution : Label Bleu

Un temps masqué/dévoilé par la dernière lettre de l’alphabet français, Bojan Zulfikarpasic se prononce maintenant pour la pleine lumière, seul et en débat avec son superbe piano Fazioli.
Et s’il n’a pas la prétention de s’originer de lui-même, si donc on perçoit dans son style influences et filiations, au moins faut-il reconnaître la touche personnelle profonde du présent disque.
Qui s’entend en chaque pièce, et dès les premières notes de « Fingering », « Sacre du printemps » inclus et cité à deux reprises. Tout découle de là, le rythme et la répétition, avec l’obsession du solitaire et l’acharnement de l’idée à revenir hanter le corps. En trois pièces brillantes (« Who’s BoB », « Multi Don Kulti » et « Solobsession ») Bojan déploie la gamme de ses talents, sollicite le grave de l’instrument avec jubilation, plonge dans les entrailles du piano avec un sens de l’à propos assez stupéfiant, propulse sa main droite en traits virtuoses et lyriques, et s’accorde enfin le temps d’une pause avec un « Don’t Buy Ivory, Anymore » de la plume du contrebassiste Henri Texier. « Tout Neuf » revient en battements charmeurs à des climats où l’angoisse brisée le dispute au chant profond, avant un « Zulfikar-Pacha » parcouru de réminiscences macédoniennes.
Les trois pièces finales font monter encore la tension, « Valse Hot » (Rollins) constituant une belle alternative au plus souvent joué « Jitterburg Waltz », et « Mothers Of The Veil » révélant une fois de plus le génie compositeur d’Ornette Coleman. Quant au traditionnel « Uci Me Majko, Karaj Me », coloré d’harmonies modernistes, il résume toute la qualité d’un jeu qui veut ne rien ignorer de la grande tradition noire du piano (Ellington, la frappe, la force, la résonance, la liberté) sans cesser d’y inclure le sens classique d’un toucher admirable de maîtrise.
Un disque qu’une première écoute n’épuise pas, et ce n’est pas si fréquent.