Summer Jazz Festival à Serre-Chevalier
Deuxième édition du festival de Serre-Chevalier, l’été en altitude.
C’est en 2022 que naît l’idée de ce tout jeune festival : Louis Sclavis et Jean-Jacques Di Tucci [1] respectivement parrain et directeur artistique du festival se rencontrent au Casset dans le gîte-hôtel de Charleric Gensollen. Ce dernier propose au clarinettiste de mettre en place un concert, l’idée fait son chemin jusqu’à la création d’une première édition de 4 jours l’année suivante. Pour cette édition sur la même durée, les concerts se déroulent en acoustique dans les églises de la vallée de la Guisanne, torrent traversant les communes de Serre Chevalier dans les Hautes-Alpes.
Vincent Courtois débute l’édition en solo dans l’édifice simple et sans ornements du Casset, un des hameaux charmants de la vallée. Le violoncelliste introduit son concert par une très longue tenue, prélude à son album solo West dont il jouera certaines pièces, puis viendra le mouvement Dialogo de la sonate pour violoncelle de Ligeti, enfin la Suite numéro 3 en do majeur de Bach. Cette description simpliste du concert fait fi des improvisations nombreuses en direction du jazz, des musiques classiques du 20e siècle et autres clins d’oeil celtiques dont le musicien est un exceptionnel pourvoyeur. La petite église est pleine et le public concentré, ce solo suspendu est une remarquable introduction au festival. L’acoustique du lieu contribuant certainement à cette magie, mais pas seulement puisque le violoncelliste expérimente avec une joie marquée un nouvel archet créé en collaboration avec Clémence de Lartigue : « L’archet s’avère exceptionnel, bien au delà de mes espérances, le résultat confirme que tout ce travail et ces échanges violoncelliste-archetière étaient essentiels tant le niveau d’exigence était grand pour chacun de nous »
- L’église de Saint Chaffrey
Le quartet Entre les Terres joue le lendemain dans la belle église baroque de Saint Chaffrey à la restauration vivement colorée. Assister aux répétitions me permet de faire des photos au plus proche des musicien.ne.s, mais également de découvrir comment ces virtuoses se placent dans la musique, s’écoutent et ajustent la diffusion acoustique en quelques instants. Adaptation à la réverbération naturelle, aux dynamiques de leurs instruments, équilibre des timbres. Jacky Molard (violon) et François Corneloup (saxophone baryton) ont composé le répertoire, Catherine Delaunay (clarinette) et Vincent Courtois complètent ce quartet d’exception. Le concert est magnifique, les histoires emmènent l’auditoire dans des territoires connus et imaginaires tandis que la diversité des langages et la complémentarité des musicien.ne.s sont fascinantes.
Le jour suivant après la conférence de l’après-midi sur Henri Texier par Lionel Eskenazi, c’est à La Salle-les-Alpes dans l’église baroque Saint Marcellin que Christophe Monniot (saxophones) et Didier Ithursarry (accordéon) jouent un répertoire composé des titres des albums Hymnes à l’amour et Hymne à l’amour, deuxième chance. Le soleil couchant filtré par les vitraux joue sur les dorures de l’autel offrant un décor sur mesure au duo. Si Christophe Monniot facétieux et rebondissant metteur en scène de sa musique place le propos dans le haut du spectre, Didier Ithursarry est le surprenant Monsieur orchestre de l’équipe, utilisant les timbres et la large tessiture de son instrument pour assoir et conter les aventures. L’écriture pourtant complexe ouvre pour le public une grande part à l’imaginaire et à la danse, c’est le talent de ces équilibristes déroulant leurs improvisations au gré des compositions, la musique coulant comme le flot d’un torrent de montagne.
- Claude Tchamitchian, Louis Sclavis
Ce dernier jour du festival deux concerts sont programmés à l’église du Monêtier-les-Bains qui offre la jauge la plus importante du festival, le public ayant répondu présent toutes les places ont été vendues. Louis Sclavis et Claude Tchamitchian bien que se connaissant depuis longtemps jouent pour la première fois ensemble. Les musiciens ont répété le matin même, élaborant un répertoire de leurs compositions respectives adapté au duo et dès le début du concert l’accord entre eux est parfait. Des libertés sont prises, notamment sur Loin dans les Terres de Louis Sclavis, lorsque le contrebassiste joue un passage à l’archet en utilisant de puissants accords enharmoniques dont on penserait qu’ils sont saturés. L’ensemble arrangé pour ce concert pourrait être un album tant l’osmose du propos et l’homogénéité des timbres sont instantanément présents. En rappel, le spirituel Extase du clarinettiste nous pose en douceur pour la suite de la soirée.
En seconde partie, Bojan Z et Julien Lourau « complices de 35 ans » offrent un festival. Si quelques partitions sont apparues pendant les courtes balances, elles sont mises de côté dès le début du concert. On peut parler de cohésion de couple lorsque ces deux-là conversent sans se regarder, car le discours et l’écoute sont totalement fluides. Cette musique qu’ils pratiquent est un dialogue, Bojan Z possède un jeu orchestral, Julien Lourau échafaude en contrepoint. Un échange à deux voix sans ego, uniquement se surpasser pour surprendre l’autre. Seeds, Full Half Moon, Grana Od Bora sont quelques-uns de leurs standards interprétés ce soir avec une insolente fraîcheur.
Ce petit festival chambriste que les organisateurs souhaitent faire grandir sans grossir tient avec 4 bénévoles, 16 partenaires et une subvention publique-privée de 30k€. Souhaitons-lui une troisième édition.